Home Asie [INTERVIEW] La rappeuse Suboi a fait le point sur sa carrière et son comeback (ENG & FR)

[INTERVIEW] La rappeuse Suboi a fait le point sur sa carrière et son comeback (ENG & FR)

by LucileMusique

English available on the second page ! Just click on “Prochaine Page” at the bottom right !

La rappeuse Suboi, que nous avions déjà interviewé en 2013, a fait escale cet été en France, à la fois pour le travail mais aussi pour se reposer. Après plusieurs mois d’absence, Suboi a sorti le single ‘Đời‘ en début d’année, en prévision d’autres chansons d’ici fin 2016. Malgré son emploi du temps serré pendant son escale, Suboi a pris le temps de répondre à nos questions ! Ses futurs projets et sa vision sur l’avenir du hip-hop vietnamien sont à découvrir ici !

 

L’interview :

Bonjour Suboi, ceci est notre deuxième interview depuis votre venue à Paris en 2013. Que nous a valu votre visite dans notre capitale ?

“Bonjour ! J’étais ici pour un shooting pro de mode. C’est quelque chose de plutôt important pour moi cette année, pour mon retour sur scène et ma carrière. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment (rires). L’annonce se fera d’ici le mois de septembre et la sortie est pour octobre. J’ai vraiment hâte, c’est énorme pour moi et ce sera la première fois que je travaille à l’international comme ça.”

Vous avez récemment révélé un nouveau logo pour votre retour en 2016, est-ce pour vous un moyen de montrer une nouvelle image ?

“En ce qui concerne mon image, je suppose que vous verrez l’évolution jour après jour. Mais le logo c’est vraiment quelque chose de personnel et j’appellerais plutôt ça un ‘relooking’. J’adore renouveler mon univers artistique, j’adore me renouveler et je suis totalement indépendante. En fait, ce logo a été conçu par The Lab Saigon [ndlr : une entreprise professionnelle de design] et il y a des personnes vraiment talentueuses qui y travaillent. Ils connaissent mon parcours, ils savent ce que j’ai traversé et ils connaissent mes convictions, alors je suis reconnaissante d’avoir toujours de nouvelles personnes pour m’entourer, qui font en sorte que je puisse réaliser mes projets.”

Vous avez sorti votre premier single de l’année 2016 avec le titre ‘ĐỜI’, pouvez-vous nous parler de son thème ?

“Le single ‘ĐỜI‘ parle de mon passé. J’ai traversé quelques dures épreuves mais j’ai beaucoup appris, tout comme mon père. Mon père a toujours été du genre à parler de manière négative de la vie, parce qu’il a enduré beaucoup de choses, et que c’est totalement injuste pour lui. Il a fait du mieux qu’il a pu, il a beaucoup appris et ensuite il a travaillé très dur pour notre famille mais il a toujours eu des difficultés de manière générale. ‘ĐỜI’ parle de la période où mon père avait peur que l’on perde notre maison. Il a travaillé toute sa vie pour notre famille, il a même eu un accident de moto, et ensuite il a perdu son boulot à peu près à la même période. Donc je l’ai vu se battre contre cette humiliation infligée à un père de famille, et je pense que c’est ce qui l’a détruit. Du coup j’ai vraiment écrit cette chanson pour ce moment, pour montrer que ce qui se passe dans nos vies est toujours inattendu et imprévisible. ‘ĐỜI’ signifie ‘Vie‘.”

Le clip de ‘ĐỜI’ :

L’Asie est connue pour sa censure, avez-vous déjà eu des soucis au niveau de vos paroles au Vietnam ?

“Je parle beaucoup de la censure. Certaines de mes chansons ne peuvent pas passer à la radio juste à cause d’un mot. C’est typique du Vietnam, d’avoir une façon bien précise de diriger le pays ; pour garder le pouvoir bien sûr, mais je comprends et c’est aussi l’une des facettes d’une culture. La culture hip-hop est nouvelle au Vietnam. Au début, ça a vraiment affecté ma musique parce que le Vietnam est encore un pays communiste, mais maintenant ça me donne la chance de pouvoir améliorer la façon d’écrire mes textes. Au début, c’est un mauvais sort, mais maintenant c’est une bénédiction (rires). Bon pas vraiment, je plaisante, parce qu’au final j’utilisais des métaphores et des rimes poétiques. Mais maintenant je suis vraiment passée au-dessus de tout ça, grâce à internet. Il y a toujours un moyen pour que je puisse dire ce que j’ai envie de dire et tout finit par rentrer dans l’ordre. Par exemple, si je passe à la télé, je vais sélectionner une chanson, alors que si je me produits dans un club, je joue ce que je veux. Les messages sont les mêmes, c’est juste la façon dont je les diffuse qui est différente. Mais effectivement, la censure est toujours active au Vietnam et ils veulent tout avoir sous contrôle, en particulier les artistes. Parce que quand on est artiste, on peut influencer des gens.”

Quelques semaines seulement après la sortie de « ĐỜI », vous avez sorti le titre « Lắm Mồm » en juin, prévoyez-vous un autre single ?

“J’aimerais d’abord parler de ma chanson ‘Lắm Mồm‘ pour une raison très personnelle. Un jour, alors que j’étais à New York, j’ai reçu un message sur Facebook d’un jeune ami à moi qui m’a informé que le producteur de la chanson – qui s’appelle Le Huy Viet – s’était suicidé. Il était comme un jeune frère et un ami pour moi, il n’avait que 23 ans et il était très talentueux. On était en plein dans le processus de production de ‘Lắm Mồm’ quand c’est arrivé. Ironiquement, cette chanson parle de la façon dont je me bats avec moi-même, avec tous les aspects de ma propre personne : mon côté artiste, mon côté femme vietnamienne, mon côté plus personnel et mon moi qui cherche encore sa voie. Tous ces aspects de moi s’affrontent dans les deux premiers couplets de la chanson. À un moment je dis ‘Anh ơi! nghe làm chi… lời người ta lắm mồm‘, qui signifie ‘Hey, pourquoi tu les écoutes, ils sont juste bavards, ils racontent des conneries‘. J’aurais aimé avoir eu le temps de vraiment lui parler, de vraiment le comprendre, mais il ne semblait pas se confier à beaucoup de personnes, excepté à notre ami qui m’a informé de son décès. C’est simplement très triste, il n’avait que 23 ans, il n’avait encore rien vu de la vie et il venait tout juste de déménager de sa petite ville pour s’installer à Saigon pour le travail. Il a ensuite eu des problèmes de famille, mais il faisait comme si tout allait bien. Il ne montrait pas beaucoup ses émotions, comme quand on était en studio, et il avait l’air timide… Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais cette chanson est très personnelle pour moi. Je devais absolument sortir cette chanson. On peut entendre que du coup la voix n’est pas mixée et retravaillée. C’est une chanson non-aboutie mais c’est un hommage que je lui ai rendu.”

Le single ‘Lắm Mồm’ :

Y aura-t-il un nouvel album d’ici la fin de l’année ? Si oui, y aura-t-il de nouvelles collaborations ?

“Un nouveau single, je ne sais pas. Bien sur je vais sortir un prochain single, mais parler d’un nouvel album est un trop lourd fardeau pour moi depuis que j’ai produit ‘RUN‘ [ndlr : ‘RUN’ est le deuxième album de Suboi, sorti en septembre 2014]. C’est un travail tellement intense, et de nos jours produire un album ça ne marche plus de la même manière. Peut-être une mixtape dans ce cas, où un EP, mais bien sur je l’annoncerais en temps et en heure !”

Depuis notre dernière interview, vos albums sont disponibles sur les plateformes de téléchargement légal tel qu’iTunes, pensez-vous sortir une version physique de vos prochains albums pour les fans du monde entier ?

“On est à l’heure du digital, donc je pense que oui, mais je vais d’abord faire un album et on en reparlera ensuite ! Si les gens veulent du format digital, je leur donnerais ce qu’ils veulent, mais à l’heure actuelle je veux juste me concentrer sur ma musique.”

suboi-inteview-ckjpopnews-2016-2-tagIl y a quelques semaines, vous avez assisté à une rencontre au Vietnam pour partager la culture de votre pays mais aussi pour renforcer les liens entre les États-Unis et l’Asie du Sud-Est. Le président Obama vous a alors demandé de rapper pour lui. Quel message souhaitiez-vous faire passer au président américain, mais aussi au monde entier ?

“Le président Obama est venu au Vietnam et j’ai assisté à l’évènement, qui était comme un gros conseil municipal, car j’avais une question pour lui. Beaucoup de gens ont parlé du fait que j’ai rappé pour lui, mais peu de personnes ont parlé de la question que je lui ai posé. Je n’étais pas là pour montrer mes performances en rap, mais j’ai posé une question en rapport avec l’importance de promouvoir des artistes et aussi de promouvoir à la fois la culture et la créativité d’une nation. Avant de répondre à ma question, il m’a demandé de rapper un peu. J’étais vraiment surprise ! J’étais aussi très nerveuse parce que c’est l’homme le plus puissant du monde et que j’étais simplement en train d’avoir une conversation avec lui. C’est toujours mieux que de faire la une, et je voulais juste poser ma question. Je suppose que tout le monde souhaitait entendre la réponse de sa propre bouche. Ce que je voudrais faire passer comme message aux gens, c’est que le Vietnam n’est pas seulement un pays où il y a eu une guerre, car beaucoup de personnes parlent du Vietnam que pour la guerre que le pays a subi. Notre génération est née bien après la guerre, beaucoup de choses ont changé depuis et tout évolue très vite maintenant. Beaucoup de gens font ce qu’ils veulent. Je suis juste une de ces personnes. Le message le plus important que je voudrais transmettre s’adresse aux jeunes vietnamiens : il n’y a pas de nation parfaite, comme l’a rappelé le président Obama lorsqu’il m’a répondu. Et bien sur, nous connaissons nos défauts, nous connaissons notre pays, on sait d’où on vient, et je veux simplement que les gens saisissent la chance qu’ils ont. Ils peuvent aller voir ailleurs, sortir de chez eux et aller faire ce qu’ils veulent avec des personnes du monde entier. Leur vie ne se limite pas au Vietnam, en particulier pour les vietnamiens qui font partie de l’industrie hip-hop. On n’est pas seulement là pour s’affronter les uns les autres dans une battle de rap, mais on est là pour montrer aux gens de l’extérieur ce pour quoi on se bat, en particulier quand on vient d’un pays comme le Vietnam. C’est un petit pays très peuplé, mais qui offre beaucoup d’opportunités maintenant.”

Vous commencez à être connue aux États-Unis, notamment après avoir eu l’honneur de participer au festival de musique américain ‘South by Southwest’. Le quotidien américain Wall Street Journal vous a surnommé la ‘Reine du hip-hop vietnamien’. Pensez-vous que depuis notre dernière rencontre, l’’expansion de la scène musicale vietnamienne a évolué, notamment grâce à votre popularité ?

“Je ne pense pas qu’on puisse me qualifier de ‘populaire’, parce que quand on parle de personnes célèbres, on pense tout de suite à des personnes vraiment très connues. Pour moi, je suis juste une vietnamienne qui essaie de faire ce qu’elle veut et qui essaie de se présenter au monde entier. Depuis notre dernière entrevue, la scène musicale vietnamienne a bien sur beaucoup évolué, mais pas simplement grâce à moi, car tout le monde a un talent. Je pense que les autres artistes se débrouillent mieux que moi (rires). J’aime garder les pieds sur terre et j’aimerais bien savoir jusqu’où je serais capable d’aller et tout ce que je pourrais encore apprendre. C’est tout ce dont je me préoccupe pour le moment.”

Avez-vous des rituels particuliers avant de monter sur scène ?

“Pour être honnête, j’aime ressentir l’énergie du moment, et j’aime voir qui est venu. Je regarde toujours à quoi ressemble la salle, comment est le son, comment est le micro, et ensuite je vérifie que je suis bien au maximum de ma performance. Je me dis “Qu’est-ce que je vais leur apporter ?” ou encore “Comment est-ce que je vais me produire ?“. Je suis vraiment nerveuse à chaque fois que je suis sur le point de monter sur scène, peu importe la taille de la salle, ou si je joue au Vietnam ou à l’étranger.”

Le public américain est-il différent du public vietnamien ?

“J’espère que la prochaine fois la question sera “Comment vous trouvez le public français ?” (rires). Le public américain est plutôt cool parce qu’ils sont ouverts à la nouveauté et aux arts venus du monde entier. Ils veulent apprendre à connaître les gens. La différence avec le public vietnamien est juste culturelle. Les vietnamiens ne sont pas habitués à faire du bruit, à danser en public ou à acclamer quelqu’un, même si bien sur ils soutiendraient leur artiste favori s’ils le voyaient. Quand on va dans les grands festivals, on peut voir des jeunes danser et sauter dans tous les sens au rythme de la musique, et je trouve ça vraiment génial. La culture occidentale est très différente, ils savent faire la fête et je trouve ça cool mais je pense que cette génération est en transit. La jeune génération est en train de changer. Ils font ce qu’ils veulent désormais, ils disent ouvertement ce qu’ils pensent et ils peuvent s’adapter.”

Qu’est-ce que vous voulez que les gens retiennent à propos de Suboi ?

“Je suis assez en harmonie avec moi-même pour ne pas avoir à expliquer qui je suis aux gens. Et c’est pas grave, puisqu’ils peuvent me comprendre à travers mes actions. J’aimerais tester mes limites pour voir tout ce que je pourrais faire et jusqu’où je peux aller. Je fais ce que j’aime et je suis complètement épanouie dans ma vie à l’heure actuelle, parce que je m’accroche à ce que j’ai, et pas à ce que je n’ai pas.”

Quelle chanson recommanderiez-vous pour une personne qui ne vous connait pas encore ?

“J’aimerais recommander la chanson ‘Trời Cho‘, car c’est ma chanson préférée  : elle parle de ma vie privée, on peut danser dessus et il y a de vrais messages dedans. J’aime aussi beaucoup ‘ĐỜI‘ parce qu’elle raconte mon histoire et ‘Lắm Mồm‘ car elle traite d’un sujet qui me tient à coeur. D’autres chansons que j’aime sont à venir, car je ne veux pas qu’on me voit comme quelqu’un de tout le temps énervé (rires). Parce qu’en effet, je suis quelqu’un de très heureux !”

La chanson ‘Trời Cho’ :

https://www.youtube.com/watch?v=6iSYhF7K8SQ

Merci beaucoup Suboi pour avoir pris de votre temps ! À la prochaine !

“Merci beaucoup, à la prochaine !”

 

Entre temps, l’annonce du shooting photo de Suboi est sortie. La jeune femme a été présentée comme l’une des ambassadrices de la collaboration mode entre Kenzo et H&M. La collection sera officiellement disponible à partir du 3 novembre, un peu plus tard que prévu. Il faudra attendre donc un petit peu pour le prochain single de Suboi, qui pour l’instant se consacre à la mode !

 

Merci beaucoup à Suboi pour sa gentillesse et son temps !

You may also like