A la suite de la sortie de la chanson intitulée « Hikikomori » par le rappeur sud-coréen Bang Yong Guk, nous avions envie de réfléchir quelque peu sur ce sujet, qui malgré son nom aux sonorités japonaises, concerne plus simplement les cas du pays du soleil levant.
Partons peut-être du clip pour comprendre à quoi s’assimile ce phénomène, ce que les psychologues se refusent à appeler pathologie pour préférer le terme conduite ou trouble social.
Dans le clip, le rappeur pointé par la société est envahi par un trop plein de sentiments qu’il n’arrive plus à contenir et qui mêlent haine, peur, angoisse, mélancolie et désespoir. Il s’enferme alors dans son propre monde, s’y abandonne et décide de consciemment s’aveugler, de se réfugier sous la table, de contenir sa rage qui implose. Dans une salle complètement détruite avec un sol jonché de papiers, de bouts de verres, Yongguk est assis sur une chaise à laquelle il choisit de rester attaché. Puissante, la dernière séquence présente le rappeur suffoquant qui hurle à pleins poumons son désespoir et sa rage dans une chambre qui est son seul repère.
Cette situation, bien qu’interprétée dans le cadre d’une séquence musicale représente assez bien les ressentis des “hikikomori”, même si les variantes sont nombreuses et que les cas diffèrent en fonction des circonstances sociales, familiales, économiques et culturelles et simplement en fonction des individus.
Être désigné comme “hikikomori”, qu’est-ce que ça signifie ?
Si l’on devait traduire ce terme japonais, “hiki” se rapprocherait de “se désister, se retirer”, et “komori” signifierait “rester enfermé”. Autrement dit, les “hikikomori” sont des personnes qui ont pour conduite sociale de se retirer de la société, éprouvant une incompréhension envers celle-ci pour ne plus que s’abandonner dans leur propre monde, restant ainsi cloîtrées dans un espace fermé comme une chambre. Les hikikomori éprouvent non seulement une phobie sociale, mais aussi un sentiment d’impuissance face aux circonstances de nos jours, sentiment qui pousse à s’abandonner soi-même, à se retirer et à être passif dans la société.
Non seulement cette personne refuse donc de sortir, et ceci parfois pendant des mois, mais elle a aussi pour caractère d’avoir une vie sociale (ou non) souvent virtuelle, autour de jeux vidéos en réseaux, des réseaux sociaux. Les “hikikomori” ont pour la plupart un imaginaire débordant, qui constitue leur bulle de protection face à une société qui met en avant les problèmes d’écologie, d’économie, de santé, de politique…
Les “hikikomori” n’éprouvent plus ce besoin de sortir, car dans leur chambre se trouvent tous les éléments pour qu’ils puissent se sentir en sécurité. Pour la plupart, les personnes désignées par cette conduite vivent chez leurs parents, et n’ont donc pas de préoccupation financière, commandent à manger et n’ont plus la notion du temps. Beaucoup se réfugient dans l’imaginaire qu’ils se sont construit autour du jeu vidéo, de la fiction, des livres, de la musique et développent une obsession qui remet en question la notion du temps. Certains préfèrent alors vivre la nuit et dormir le jour tandis que d’autres confient pouvoir passer 20 heures sans s’être rendus compte qu’ils n’avaient pas mangé parce qu’ils s’étaient plongés dans leurs lectures.
Les spécialistes ont longtemps pensé qu’il n’existait qu’une spécificité et qu’une catégorie d'”hikikomoris” En réalité, d’autres termes apparaissent pour désigner ces personnes, qui, pour la plupart sont âgées de 16 à 30 ans. On retrouve alors les “futoko“, ces adolescents qui développent une phobie sociale et refusent d’aller à l’école, se coupant même du système scolaire si important au Japon et on retrouve aussi les “sotokomori”, qui sont ces individus qui voyagent sans cesse en quête de quelque chose sans chercher à avoir un quelconque contact social.
Un phénomène propre aux Japonais ?
Si l’on utilise ce terme japonais pour désigner cette conduite sociale qui s’étend désormais au-delà du Japon, c’est parce que les cas les plus spécifiques ont été remarqués au Japon. Plusieurs raisons poussent à penser que ce phénomène y est plus développé.
Déjà, la pression que l’on retrouve dans le système scolaire (système de notations excessives, compétitions, élite sociale) fait émerger chez certains adolescents un manque de confiance et d’estime de soi, et donc un désir de se tenir à distance de ce qui leur fait du mal. Rappelons que le Japon, même si on note une amélioration, a l’un des taux de suicide chez les adolescents les plus élevés du monde.
Ensuite, la pression sociale au Japon est telle que certains ne comprennent plus le fonctionnement de la communauté : il faut être un travailleur actif, travailler sans relâche du matin jusqu’au soir, et parfois même la nuit, adopter des pratiques sociales comme tout le monde. Les hikikomori ne voient pas dans ces conduites une quelconque source de bonheur. Et d’ailleurs, c’est leur caractéristique principale : la résignation.
De pair avec cette pression sociale, les problèmes actuels : une économie en crise, des problèmes environnementaux, une structure politique instable… En bref, pas le moindre symptôme d’une amélioration à l’horizon. En plus d’avoir une sensibilité accrue, les hikikomori se tiennent à distance de ces maux de société auxquels ils ne veulent pas se sentir associés.
Ce phénomène est d’autant plus visible au Japon depuis quelques années avec l’essor des réseaux sociaux et l’attrait particulier des jeunes japonais pour les jeux vidéo, les mangas et autres univers décalés. Au Japon, une personne est un hikikomori quand elle est prise dans ce processus de retrait social depuis 6 mois au moins. En plus de ça, les jeunes refusent toutes interactions sociales, n’éprouvent plus d’intérêt pour les relations amoureuses ou sexuelles et ne quittent pas le foyer familial, exerçant ainsi cette dépendance à leurs parents, avec qui ils n’entretiennent même plus de vraies discussions.
Ils se réfugient alors dans leur univers parallèle, dans lequel ils peuvent communiquer sans être pointés du doigt et sans se sentir différents, puisque le contrôle de la situation leur revient. Sortis du système scolaire, ils n’entendent même plus les notions de travail et d’études, qui riment avec échec à leurs yeux. La plupart de ces jeunes ont conscience de ce retrait entamé progressivement. Si pour certains, il s’agit là d’une conduite sociale qu’ils adoptent afin d’échapper au monde et de se sentir mieux, d’autres subissent cette déplorable estime de soi et éprouvent donc de grosses phobies à l’égard du monde extérieur qui fait resurgir certains traumatismes d’enfance ou d’adolescence.
Autrement dit, cette conduite, avec des symptômes de trouble social, s’apparente à une peur de passer à l’âge adulte. Un phénomène qui touche donc de plus en plus la jeunesse japonaise où règne une certaine désillusion.
Des conséquences sur la société et l’effort d’une réinsertion sociale
Ce phénomène a bien évidemment des conséquences sur la société. Au Japon, où la communauté prime face à l’individu, les pratiques sociales sont le reflet d’un engagement dans la vie active, et à l’égard de ses concitoyens. Rappelons que la situation démographique actuelle du Japon tient d’un vieillissement de la population, d’une baisse forte du taux de natalité et donc d’un marché de l’emploi en déclin en raison d’une offre trop forte, et d’un refus de procéder à la demande de l’immigration.
Pour ces jeunes, la réinsertion devient difficile, parce qu’en plus de se sentir incompris et donc de ne pas pouvoir trouver leurs voies, les moyens mis en place pour les aider sont minimes. Le Japon reconnait le phénomène mais semble dépassé et ne pas être prêt à l’affronter. En effet, l’aide psychologique est moindre comparé au nombre de jeunes pris dans ce processus. D’ailleurs, une des caractéristiques encore du phénomène tient du refus d’accepter une aide médicale, car la plupart ne se considèrent pas comme “malades” et donc refusent un quelconque traitement. En effet, l’ambiguïté du phénomène tient de cette constante hésitation entre pathologie et conduite sociale.
Les spécialistes japonais ne peuvent nier les troubles obsessionnels et phobiques qui touchent les hikikomori, mais éloignent ça d’une quelconque pathologie. Si bien évidemment il s’agit là d’un trouble social, l’aide médicale et psychologique au Japon reste encore trop faible face au flux important de personnes recluses.
L’effort à faire pour se réinsérer devient difficile pour ces jeunes, puisqu’ils n’ont plus goût à l’activité, et sont donc plus passifs (sans l’être dans leur chambre car certains sont créatifs). Ils ne trouvent plus d’intérêt à sortir et à rire avec leurs amis, avoir des relations amoureuses et autres.
Bon nombre d‘hikikomori qui ont réussi à se réinsérer dans la vie active confient que le “sevrage” a été très difficile, puisqu’il fallait non seulement se détacher de ses obsessions, mais prendre le risque de se mettre et de se sentir en insécurité. Des périodes de rechute sont donc éminentes.
Un univers imaginaire où se réfugient parfois les artistes hypersensibles
Toutefois, ce phénomène n’émerge pas simplement chez les adolescents confrontés à un système scolaire et à un marché du travail intransigeants ; beaucoup d’artistes, de musiciens, de peintres, d’écrivains éprouvent un désintérêt soudain pour la société alentour violente et se réfugient alors dans leur art, seule source d’épanouissement. De nombreux artistes s’enferment donc volontairement pour échapper à ce qui pourrait les empêcher de créer. Bien sûr, ce n’est pas toujours conscient.
Un grand nombre d’artistes, d’idoles même ont fait face à certains traumatismes, certaines peurs comme l’agoraphobie, des dépressions en raison d’une surcharge de travail et d’un manque d’accompagnement, et se réfugient donc dans leurs propres bulles qu’ils se sont créées. Ne règnent alors plus que la composition, la lecture ou l’écriture.
Désormais, ce phénomène suscite l’intérêt d’un bon nombre d’artistes, qui veulent analyser l’état d’esprit des individus concernés. Il devient alors le thème principal de certains ouvrages, de mangas ou d’animés. Hideto Iwai, comédien et scénariste a lui-même été hikimori dans sa jeunesse en restant enfermé chez lui de ses 16 à ses 20 ans. Pour rendre compte de ce phénomène, il a choisi d’en faire une pièce de théâtre intitulée “Le hikomori sort de chez lui” et prouve que le phénomène peut toucher n’importe qui avec Kazuo, 48 ans, enfermé chez lui depuis 20 ans. Aux yeux du metteur en scène, ce sont l’intolérance et l’obsession pour l’image qui sont les facteurs de l’isolement. Désormais dans un groupe, l’individu est en permanence stimulé et blâmé, ce qui le pousse à développer des sentiments d’incompréhension à l’égard de soi et d’autrui.
En bref, le hikikomori fascine autant qu’il inquiète et s’étend désormais au-delà de son berceau japonais.
Source : lefigaro, japanandme, franceculture
Images : Gonzo, nipponanimation, Cinéma sans frontières