Pour la première du festival Kinotayo, la Maison de la Culture du Japon et le Club de l’Etoile ont vu les choses en grand !
Pour rappel, cette année s’est déroulé du 17 janvier au 10 février la 13ème édition du festival de cinéma japonais contemporain Kinotayo, dont on vous livrait tous les détails dans cet article. Cette année, le festival avait pour intention de récompenser non seulement la sensibilité féminine mais aussi les réalisateurs indépendants, trop souvent mis de côté au profit des grands noms du cinéma japonais.
Et pour cause, si le festival avait tant à cœur de révéler le talent de ces réalisateurs japonais amateurs ou indépendants, c’est parce qu’ils sont à l’évidence le symbole d’un véritable renouveau du cinéma japonais. Parmi les perles de ce festival, on ne peut passer à côté de “Ne coupez pas !”, une comédie-zombie réalisée par Schin’ichiro Ueda.
D’ailleurs, les organisateurs l’ont bien compris en décidant de le projeter lors de la cérémonie d’ouverture qui s’est déroulée le 17 janvier à la Maison de la Culture du Japon. En plus d’être l’atout numéro un du festival, “Ne coupez pas !” s’est vu récompensé du prix du “Soleil d’or”, au terme de ce mois cinématographique.
Véritable succès au Japon, “Ne Coupez pas !” est à priori la comédie du j-horror par excellence. Réalisé avec un budget dérisoire de 25000 euros, le film a marqué les esprits en désinhibant son genre. Ne vous attendez pas à un film classique, “Ne Coupez pas!” vous surprendra par son syncrétisme entre humour et maîtrise technique époustouflante.
Revenons peut-être d’abord sur le déroulement de la cérémonie d’ouverture. A l’occasion de cette 13ème édition, la MCJP s’est jumelée au club de l’étoile, à l’origine du festival, pour proposer une diffusion au préalable de tous les films en compétition, ainsi que des films de la catégorie Kanata et des deux films d’animations du festival.
C’est donc sur les discours d’ouverture du président du festival Kiyoji Katakawa que le festival a été inauguré :
“C’est un véritable honneur d’être ici avec vous. Cette 13ème édition est exceptionnelle à plus d’un titre. Elle s’inscrit dans japonismes et est une véritable fierté et un gage de la reconnaissance, du travail et de la passion de nos équipes. Le festival Kinotayo est le seul festival dédié au cinéma japonais en France. Il présente des films qui sans lui n’auraient pas traversé des frontières. […] Le comité de sélection depuis sa création a visionné 1890 films, parmi lesquelles 221 sélectionnés. 60% des films ont un ou plusieurs prix dans d’autres festivals de cinéma. La sélection de cette édition est particulièrement riche : du drame au fantastique en passant par deux documentaires…
L’actrice Mai Kiryu nous fait l’honneur de sa présence ce soir. Le festival constitue une occasion de rencontrer les cinéastes japonais et d’échanger avec eux. Au delà, Kinotayo est une passerelle entre la France et le Japon”.
Bien sûr, il n’a pas manqué de remercier les partenaires du festival. Le président de la Maison de la Culture du Japon et le conseiller régional du Val d’Oise ont aussi fait un discours pour montrer à quel point ces “convergences culturelles sont d’une richesse inestimable” et à quel point les français se découvrent une passion pour le cinéma japonais. Kinotayo a pour but de “développer la connaissance et la compréhension des modes d’expression japonais”.
Après avoir présenté le programme, les deux animateurs ont accueilli sur scène l’actrice Mai Kiryu, invité exceptionnelle du festival et l’une des figures montantes du cinéma japonais. La jeune femme a tenu la tête d’affiche du film “The Chrysantemum and The Guillotine”, réalisé par Takahisa Zeze. Elle a donc avec une grande humilité et une certaine pudeur répondu aux questions :
Takahisa Zeze vous a t’il donné des indications ?
“J’ai pu participé au tournage avec passion. En réalité, il ne m’a pas donné trop d’indications. Il m’a transmis sa passion et permis de respecter le sentiment des personnages à interpréter.”
Avez-vous étudié un peu les thèmes de l’époque ?
“Il ne voulait pas qu’on s’y connaisse trop. Les acteurs contemporains sont importants. Mon personnage m’a demandé de prendre du poids et de m’entraîner à la lutte des sumos.”
Avez-vous un message à délivrer pour présenter le film ?
“Je suis curieuse de connaître la réaction du film français. Après la projection, j’espère que vous allez nous transmettre vos impressions.”
Si l’actrice s’est donné à cœur joie de faire cette intervention, toute l’attention s’est ensuite portée sur la présentation du film de la soirée, “Ne coupez pas”, par Olivier de Faye :
“Il s’agit du premier film d’un jeune réalisateur, autodidacte, qui a réalisé huit court-métrages de bonne qualité. C’est un film tourné avec 25000 euros et des acteurs bénévoles. Les frais ont servi à couvrir les caméras. Le film a été tourné dans une ancienne station d’épuration désaffectée et c’est la raison pour laquelle on ressent cette ambiance un peu fantomatique.
Le film est composé de trois parties. La première est un grand plan séquence. Le jeu de mots avec le titre est important. C’est le film indépendant qui a connu le plus gros succès du cinéma indépendant japonais avec deux millions de visiteurs. C’est un cinéma comico-zombie qu’on voit peu.”
Beaucoup appréhendaient alors cette production au style bien particulier, réalisée avec un budget infime. Pourtant, le film nous a laissé sans voix. Ne vous méprenez pas, il n’a rien du film d’horreur japonais classique. Il est simplement épatant dans sa trame narrative ainsi que dans sa technique de tournage.
Il est difficile d’en faire un résumé détaillé sans risquer de dévoiler tous les secrets et par là tout l’intérêt du film. Toutefois, l’équipe a eu un réel coup de foudre pour ce long-métrage et va tenter de vous en expliciter les nuances et les thèmes.
Le film nous plonge immédiatement dans l’action du film d’horreur. Mao, petite-amie de Harumi le voit se transformer en zombie. Pourtant, une chose semble manquer à la scène et de fait, on est en réalité dans le tournage de cette scène. Le réalisateur et cameraman Takayuki demande à Mao de mieux exprimer la peur. La jeune actrice est débordée par les accès de colère du réalisateur et décide de prendre une pause avec son petit-ami et la maquilleuse Aika.
Pourtant, alors que le moment est propice à du repos, rien ne semble se passer comme prévu. Et c’est lorsque les assistants se transforment en zombie que Mao et Harumi prennent véritablement peur. Les zombies existent donc pour de vrai ! Rien n’est plus satisfaisant pour le réalisateur que de voir ce sentiment si exaltant exprimé de cette manière. Et alors que nos trois personnages tentent d’échapper à ces zombies, Takayuki lui déclare sans cesse à cette caméra qui suit tout le film- sans jamais se dévoiler- “NE COUPEZ PAS!”.
A priori, avec beaucoup d’humour et d’ironie, le scénario à l’origine proposé par Takayuki dépasse le tournage et devient une espèce de comédie catastrophique gore. Pendant cette scène de près de 30 minutes, on suit alors Mao qui tente d’échapper aux zombies, et le cameraman qui n’en est que plus satisfait.
Alors qu’on pensait que le film s’arrêtait là et proposait un scénario classique caractérisé par un humour grotesque mais délicieux, le spectateur est amené à revenir en arrière, quelques mois auparavant, dans la conception du film de zombie. On suit alors les aventures de Takayuki et de sa femme -une ancienne actrice- qui sont amenés à accepter avec réticence une proposition de tournage d’un film par une chaîne de télévision. L’objectif : tourner en direct un film de zombies sans couper la caméra. Mission impossible pour Takuyaki, qui ne se laisse toutefois pas abattre et tente, tant bien que mal, avec une équipe de “bras cassés” de réaliser ce film. Autour de la table sont réunis tous les stéréotypes des acteurs : de l’alcoolique à l’idole en passant par le jeune acteur narcissique. Et c’est là où la performance devient incroyable : chaque détail du film a été pensé de manière à construire progressivement, sans que le spectateur ne s’en aperçoive la trame narrative du film.
La dernière partie du film est la plus ingénieuse. C’est en réalité avec une subtilité sans égal que le réalisateur a réussi à intégrer non pas un film dans un film, mais bien à emboîter trois films les uns dans les autres. En réalité, le tournage d’origine du film de zombie a été complètement modifié en raison de plusieurs facteurs, aussi drôles les uns que les autres et les acteurs ont du alors improviser sans arrêt pour tenir ce pari du film en direct. Tout semble alors s’emboîter et c’est avec brio que Takuyaki parvient à réaliser son film, malgré des épreuves des plus ironiques.
Et c’est à la fin du film que l’indéniable succès de l’œuvre prend sens. La virtuosité du réalisateur, des acteurs et surtout des cameramans est telle que le film fait émerger un éventail de réflexions énorme sur le travail de cinéaste.
D’une part, le film est d’une maîtrise technique incontestable. “Ne coupez pas!” prend tout son sens, puisque les vrais cameramans ainsi que les cameramans de l’intérieur ont du tourner certaines parties du film en un plan sans interruption afin de se tenir au plus près du scénario et de ne pas le corrompre en faisant des montages. Il fallait que tout fonctionne simultanément, l’équipe n’avait donc pas le droit à une seconde chance ! C’est un travail immense qui demande le plus de précision et de rigueur, et c’est en ceci que le film interroge sur le travail de l’équipe de tournage. Le cameraman devient cet œil par lequel le spectateur comprend tout le film, et son travail est donc central. Pour cette raison, le film doit être félicité pour son intelligence et son originalité.
D’autre part, c’est avec brio que le réalisateur, toute l’équipe de tournage et les étudiants de l’école dramatique Enbu Senimar sont parvenus à désinhiber la j-horror pour en faire un thème inventif et subtil. Plus que comique, le film interroge sur le travail d’interprétation de l’horreur. La peur, l’angoisse et bien d’autres sentiments encore portés non seulement par Mao et Harumi, mais aussi par Takuyaki lorsqu’il fait face à un défi qu’il pense être incapable de relever, sont vraiment décortiqués afin de comprendre qu’il est parfois difficile d’être inspiré. En plus, l’une des questions soulevées par le film se moque presque du cinéma : et si un tournage se passait mal, comment faudrait-il réagir ? Avec beaucoup de nuances, Shin’ichiro Ueda est parvenu à transmettre un message fort : le cinéma indépendant est tout aussi légitime que le cinéma de renom.
Le film sortira d’ailleurs en France ce 27 mars 2019. Pour les friands de comédie, ne le manquez pas !
Voici la bande-annonce officielle du long-métrage :
Nous tenons à remercier les organisateurs du festival Kinotayo et notamment Crosslight pour les invitations !
Sources images : kinotayo, allocine