La playlist évasion d’Okame – Partie 3
Refaire le monde avec “Run”, “Sea”, “Tear” et “Heartbeat” des BTS…
Avant d’entamer les festivités, revendiquons que parmi tous nos joyaux signés BTS, l’un d’eux reste sans pareil, mais parce que son analyse nous est éprouvante et même absurde et vaine, on ne peut que vous en conseiller l’écoute tant il verbalise un flot d’émotions et de réflexions qui exhibent l’hypersensibilité de son interprète et des auteurs-collaborateurs, c’est le phénix spirituel de RM, “mono”. Passons à la suite !
Quatre morceaux d’une puissance émotionnelle incontestable, quatre morceaux qui arrachent leurs lettres de noblesse aux hits les plus déchirants. On est bien après 2010, à l’acmé du numérique et de la vidéo et on a à peine le temps de se remettre de “Run” et “Sea” que “Tear” débarque et pas tout à fait une année plus tard “Heartbeat“, pour nous convaincre qu’on est définitivement sous le charme des morceaux à tendance mélancolique et névrosée.
Prenons les choses à l’envers, avec le plus novice des quatre, “Heartbeat”. Peu de mots nous viennent à l’esprit tant la chanson est d’une merveille rare. A l’écoute s’anime quelque chose d’assez étrange en nous : un sentiment qui prend la forme d’une jalousie et d’une frustration envers les artistes qui ajoutent ce morceau à leur palmarès, alors qu’on aurait aimé en être à l’origine. Pour la première fois, une œuvre nous touche à tel point qu’on brûlerait pour se l’approprier et en faire un joyau personnel, sans pour autant la dénuder des voix des interprètes originaux. Pop-rock primitif, toujours avec l’écho sonore d’une voix électro, “Heartbeat” accompagne aussi une période de notre vie assez particulière. La tonalité commune d’une « musique comme cri dans sa vie quotidienne » prend tout son sens ici. Le mutisme dans lequel on plonge face à ce monstre délicat n’est qu’un symbole de sa somptuosité.
Un an plus tôt, alors qu’on était jusque-là plutôt adepte des rookies BTS, bambins biberonnés à une seconde génération K-pop tout juste arrivée à son terme, on leur découvre un côté ultra-violent, presque morbide, qui nous ouvre ses portes et nous encerclent de ses griffes acérées, avec “Tear”. Oublions son côté autotuné pour se concentrer sur sa puissance dramatique et son côté raw, cru, ses émotions brutes : la haine, la passion, la folie, en bref une névrose portée par un thème aux cordes, qu’on n’avait plus l’espoir d’entendre un jour, tiré de la composition « Love Yourself : Highlight Reel ». Certains morceaux sont presque difficiles à écouter tant ils portent en eux une agitation tempétueuse, une angoisse épidémique, un spectre lancinant auquel Hoseok répond à vif dans le “you’re my fear“. A vif, c’est peut-être l’expression la plus authentique pour fixer “Tear”, qui n’a aucun remord à nous bouleverser aussi intensément…
Sans vouloir le mettre en exergue, “Sea” est le morceau le plus inestimable à –mon- cœur, toutes zones géographiques ou spirales temporelles confondues… Evidemment, on est loin de la virtuosité de John Coltrane, Kurt Cobain ou David Bowie, mais parfois la simplicité fait les grandes choses. Un riff de guitare électrique, le son d’une marée qui écume l’ouïe, un refrain redondant mais d’une humilité divine, « Sea » ressemble à cette étoile filante unique à laquelle il faut s’accrocher : un flux musical délicieux, qui se confond avec l’océan, sublimé par une mélancolie poétique, muse de l’imagination. Transcendant et exceptionnel, “Sea” fait écho à nos pages les plus douloureuses à remplir tout en épousant un lendemain où l’espoir est ré-exalté. On ne peut empêcher la transe de nous souffler à l’oreille qu’elle nous effleure et qu’il suffirait juste d’un pas supplémentaire pour plonger dans l’harmonie la plus juste entre un être et une musique. L’instinct prend le dessus, la compréhension n’est plus, tant la communion avec l’œuvre est juste. Pour sûr, “Sea” est un chef-d’œuvre émotionnel…
Et pour en finir de remonter les aiguilles du temps, rappelons que “Run” a aussi son mot à dire. Libre à lui de s’exprimer en Japonais ou en Coréen, il est de toute façon sur de son coup dans les deux cas, et on lui donne raison de l’être. Tout chez “Run” nous séduit : de son esthétique rétro à sa musicalité, il incarne à nos yeux le paradigme d’une jeunesse affranchie de toutes normes, de garçons pensifs et songeurs, soucieux aussi de devoir survivre dans une société où le consumérisme étouffe la propension à créer et à galoper librement… “Run” débarque à un moment d’angoisse et transition déterminante vers une vie d’adulte, y compris pour un groupe dépassé par sa poussée en crescendo fulgurante, dans un monde où il ne maîtrise pas encore les codes. Et même si on assume de s’éloigner du thème de la chanson, on voit “Run” comme un poème dans lequel tout jeune adulte aimerait bien s’enfermer. Impossible de le retirer de notre playlist, tant on a la naïveté de vouloir cristalliser cette période révolue !
The fin. : un voyage qui continue de nous hanter…
Quand la qualité est là, il nous est impossible d’être objectif en assumant de manière dogmatique les oeuvres les mieux travaillées. Concernant The fin, un désormais duo -on ne sait pas trop-, au-delà d’un génie musical incontestable, d’une insurrection sur la scène indé japonaise actuelle et d’une sensibilité monstre, galactique, c’est sa communication presque métaphysique avec l’autre et avec la musique qui nous remet à notre place.
Alors que “Mysty Forest” et “Melt Into The Blue” nous emportent dans un roadtrip sans fin vers leurs racines, The Fin nous achèvent par leur simplicité. Notre navigation avec eux remonte à leurs débuts, mais la barque chavire face aux vagues agitées, et l’on ne parvient pas à remonter sur le navire, jusqu’à l’an dernier. Et surprise, le bateau fait escale sur la Seine pour une expérience absolument délicieuse, qui féconde une entrevue où Yuto Uchino et sa sensibilité accrue deviennent une chimère onirique, bleue !
Car oui, l’artiste semble fasciné par tout ce qui touche au bleu, au ciel, à la mer, à la liberté, à la vie !
The fin. nous poussent à réapprendre à aimer la musique électronique fondamentale, à fouiller dans les sonorités cristallines, dans les voix passées au crible de la machine, à explorer un univers qu’ils incarnent quotidiennement, celui où ils s’affranchissent des normes, où l’irrégularité et la déviance sont symboles de particularité et d’originalité. Musique de background ou immersion essentielle de “Divers”, les oeuvres de The Fin nous proposent un saut dans le vide et on est encore frappé par la portée de leurs performances et la transe dans laquelle les artistes et l’auditeur se submergent sans crainte. On l’assume, The Fin marque en définitive une étape cruciale dans notre façon d’appréhender la musique…
Destination l’hiver avec “Winter Bear” de Taehyung
Notre dernière obsession musicale en date ? “Winter Bear” de Taehyung. Plus qu’une délicate berceuse pour passer l’hiver, le titre nous a chaperonné pour notre tout premier voyage en Corée. Inévitablement, on redessine les tableaux de promenades solitaires, où l’on a apprécié se perdre, de recherches d’observatoires, de randonnées sur les hauteurs et les montagnes, ou encore d’enivrement avec la vie nocturne agitée et bouillonnante. “Winter Bear” ne contient plus que les souvenirs tendres d’un paysage Séoulien surprenant, frappant et dense, où les collines de Yongsan-gu sont grandioses vues de l’autre côté de la rive, de Gangnam-gu.
Cette berceuse acoustique où la guitare électrique propose un thème des plus enivrants, où le violoncelle communique avec les violons, où la mélodie est d’une pureté angélique, où la voix de l’interprète est une caresse sublime pour les sens, est un des rares morceaux qu’on atteste pouvoir écouter en boucle. Entre raffinement et brutalité presque diaphane, “Winter Bear” se joue de ce côté clair-obscur, de cette mélancolie hivernale, où la neige recouvre le sol et le silence l’espace en embrassant l’imagination. Saisi d’un spleen songeur et lumineux, Taehyung peint sa propre rêverie, à la manière d’un poète qui touche enfin du bout des doigts à la quintessence de son art.
“Winter Bear” est d’un attendrissement curieux, et nous inspire le propos du poète Novalis sur les peintres : “Réaliser la représentation de l’irreprésentable, voir l’invisible, toucher et percevoir l’impalpable.”. “Winter Bear” nous pousse à lire entre les lignes, à écouter les silences et à percevoir l’invisible, celui où l’on ressent les mille êtres, y compris cet ‘ours d’hiver’. Forcément, cette valse gagne doucement en saveur, et plus on l’écoute, plus elle devient une mélopée angélique pour l’hiver. Après “Snow Prince” de Snow Prince Gasshoudan et “Forever Rain” de RM, on cueille désormais notre propre neige avec “Winter Bear”…