Home CultureConventions [INTERVIEW] Sato Yoshinori, le réalisateur de Shinjuku Tiger, se dévoile à nous à l’occasion du festival Kinotayo !

[INTERVIEW] Sato Yoshinori, le réalisateur de Shinjuku Tiger, se dévoile à nous à l’occasion du festival Kinotayo !

by Celia Cheurfa

Lançons les festivités du retour sur la quatorzième édition du festival de cinéma japonais contemporain Kinotayo avec cette toute première interview ! Né en 1975, Sato Yoshinori fait du cinéma indépendant son atout : après avoir été biberonné aux ‘cinema studies’ à l’université de Caroline du Sud aux Etats-Unis, il entame sa carrière en tant que réalisateur indépendant avec un premier long-métrage tourné en 2013, intitulé Bad Child, qui sensibilise sur la désintégration des liens familiaux. S’en suit alors Her Mother en 2016, autre long-métrage subsumé d’une réflexion sociétale, et pas des moindres, le lourd sujet de la peine capitale au Japon. Avide d’encore plus de découverte, il se lance dans la réalisation de son tout premier documentaire de cinéma autour d’un personnage emblématique du quartier des cultures subalternes, Shinjuku Tiger. Depuis près de 50 ans, l’homme au déguisement de tigre erre dans les rues de Shinjuku, un quartier qu’il expertise sans fin, un quartier qui a vu évoluer une multiplicité de contre-cultures. Yoshinori Sato prend la parole pour nous raconter la naissance magique de ce documentaire insurrectionnel ! 

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Yoshinori Sato: Je m’appelle Sato Yoshinori.  Je suis né en 1975, je viens de la préfecture d’Aichi, qui se trouve à peu près au centre du Japon [rires] et j’ai étudié le cinéma à l’université du sud de la Californie, aux Etats-Unis. C’est mon troisième film, et mon premier documentaire projeté au festival Kinotayo.

Avant de revenir sur Shinjuku Tiger, revenons sur votre parcours, dont Tokyo Boy et Her Mother, deux performances crues mais pourtant sublimes sur la désintégration des liens familiaux. Comment expliquez-vous cet intérêt tout particulier pour le lien familial et pensez-vous qu’il s’agit d’une représentation de la situation familiale au Japon ?

Yoshinori Sato : En effet ! Déjà, je pense que j’ai vraiment mis en avant la famille dans mon premier film et je voulais montrer que le système de la famille japonaise actuelle est un petit peu dysfonctionnel, c’est ce que je voulais montrer dans ces deux films.

Désormais, cette année pour Kinotayo, vous présentez un film aux antipodes de ces deux performances, pouvez-vous nous parler de Shinjuku Tiger, qui vante la joie de vivre ?

Yoshinori Sato : En fait, à l’origine je ne connaissais pas Shinjuku Tiger. C’est un distributeur qui m’a parlé de lui et m’a montré une photo de lui et tout de suite j’ai eu envie de le connaître… En fait, ça a éveillé ma curiosité. Et au départ, je pensais faire un film plus sérieux, mais je l’ai rencontré et j’ai appris qu’il était Shinjuku Tiger depuis plus de 45 et au départ, je me disais qu’on pourrait peut-être raconter l’histoire de Shinjuku. Et si au départ je pensais faire un documentaire beaucoup plus sérieux que ça, en côtoyant Shinjuku Tiger, qui est très gai, très bavard, je me suis dis qu’il fallait peut-être changer de registre de film.

Dans mes deux films précédents, on parlait aussi des personnes qui étaient contre le système actuel ! Par exemple, dans Her Mother, le personnage principal est contre la peine de mort; dans Tokyo Boy, qui s’appelle aujourd’hui Bad Child,  c’est similaire à Shinjuku Tiger : c’est aussi une personne qui est contre le système actuel, donc il y a quand même un point commun entre ces trois films.

Tantôt scénariste, tantôt directeur de photographie, tantôt réalisateur, comment cette fois-ci, avec Shinjuku Tiger, en vous laissant porter par le personnage jusque par la mise en scène, Sato-San, êtes-vous parvenu à gérer cette différence de point de vue ?

Yoshinori Sato : Pour ce film, j’ai tout fait moi-même, je n’ai pas vraiment distingué les différents rôles. J’ai côtoyé Tiger avec une caméra , comme un caméraman qui ne fait que ça par son plan et la structure de plan ! Mais moi, j’ai vraiment l’impression… d’avoir été quelqu’un qui a accompagné Tiger et je voulais surtout que le tournage ne soit pas un fardeau. Par contre pour le montage, c’était un petit peu différent : il fallait avoir un point de vue plus objectif.

Au début, vous êtes parti du principe que vous alliez filmer quelqu’un d’extraordinaire, d’original, d’authentique, puis finalement vous vous êtes rendu compte que vous suiviez simplement quelqu’un dans son quotidien. Expliquez-nous un peu cette évolution de votre perception de l’extraordinaire !

Yoshinori Sato : Lorsque j’ai commencé à le filmer, je ne le connaissais absolument pas, donc je me disais que peut-être le sujet principal de mon film, ce serait qui est Shinjuku Tiger ! Mais comme vous l’avez vu, il porte une tenue extravagante et au départ je voulais montrer cela, mais je me suis dis que ce n’était pas vraiment ça, qu’il fallait juste le montrer tel qu’il était et laisser l’imagination au public …¨ Puis avec le temps passé avec lui, j’ai commencé à avoir de plus en plus de certitudes sur lui…[rires] même si il ne disait jamais verbalement pourquoi il faisait certaines choses,  j’ai commencé à comprendre un petit peu ces expressions. En le voyant, j’ai commencé à comprendre le personnage. Et voilà, c’est peut-être ça qui a influencé la structure du film.

Pour vous Sato-san qui venez de Handa, vous avez voyagé cette fois-ci avec Tiger à Shinjuku. Est-ce que votre perception, votre rapport à l’espace urbain, à la ville a changé ?

Yoshinori Sato : Effectivement, j’ai grandi à la campagne. Mais après avoir fait ce film, je me suis dis que même dans des grandes villes urbaines, es gens vivent de façon normale et bien sûr on dit souvent que les gens des grandes villes sont froids, mais il y a aussi une humanité que j’ai découverte… et je me suis dis que c’était peut-être plus facile pour la culture de naître dans une grande ville puisque quand on vit à la campagne, les gens ont à peu près les mêmes valeurs, mais dans les grandes villes, on retrouve beaucoup de personnes différentes qui n’ont pas tout à fait les mêmes valeurs. Et c’est un mélange de ces différentes valeurs qui font qu’une culture puisse naître.

Avez-vous une anecdote à raconter concernant le tournage du film, quelque chose qui ne s’est pas passé comme prévu ou à l’inverse quelque chose qui vous a surpris et a permis de donner une nouvelle impulsion au tournage ?

Yoshinori Sato : On a un point de vue avant le tournage, comme une sorte de préjugé et forcément on est un peu bouleversé lorsqu’on tourne vraiment mais c’est aussi un plaisir de tournage… [rire] Il faut que je m’en souvienne, ça va revenir.

Finalement, quel message avez-vous envie de faire passer aux gens qui ont regardé le film et aussi à une jeunesse qui voit en Tiger une figure d’admiration ?

Yoshinori Sato : Pour le message au public, c’est très simple, je voudrai que le public regarde Tiger et ressente quelque chose… Sinon un message pour à la fois le public et la jeunesse qui l’admire, en fait Tiger c’est … quelqu’un qui fait quelque chose depuis très très longtemps et je pense que c’est quelque chose de très difficile à faire. D’ailleurs les hommes sont assez fragiles : il y a beaucoup de tentations autour de nous. Croire en quelque chose, c’est vraiment difficile à notre époque… Donc montrer quelqu’un qui est capable de faire ça leur donnerait peut-être de l’espoir et leur faire croire qu’eux aussi en sont capables. Il y a aussi le fait que j’aimerai que ces jeunes apprennent un peu plus les histoires, par exemple dans le film, on apprend à quelle époque il est né et la société dans laquelle il a grandi, surtout l’après-guerre. Je voudrai qu’ils apprennent comment la société japonaise a évolué.

 

CKJ : On vous remercie ! 

 

Yoshinori Sato : Je reviens sur une anecdote ! Ce n’est pas grand-chose, mais lorsqu’on était en train de tourner, j’ai rencontré une femme qui nous a raconté qu’elle avait un corbeau comme animal domestique lorsqu’elle était jeune et qu’il était vraiment domestiqué, très gentil, qu’il s’accrochait sur sa main. Juste après cette rencontre, Shinjuku Tiger s’est retourné vers moi et m’a demandé « Tu l’as bien filmé ? ». En fait je me suis rendu compte qu’en règle général nous avions plutôt peur du corbeau, que nous avons une image négative de cet animal. Mais je me suis rendu compte que Tiger aimait avoir des valeurs différentes et qu’il admettait le fait qu’on en puisse en avoir des différentes. Quand il m’a demandé si je l’avais bien filmé, en réalité ça n’était pas le cas ! On pensait souvent à boire un coup ensemble pendant sept heures ou huit heures, donc c’était impossible de tourner du début à la fin. Parfois je faisais même semblant de tourner alors que la caméra n’était pas allumée. Et à ce moment là, je me suis dis « mince, il faut peut-être que j’essaye de le filmer, de tourner avec la caméra plus longtemps possible ».

Tiger, en voyant votre film, comment a-t-il réagi ?

Yoshinori Sato : Il était ravi du résultat, il a juste dit « Génial ! » [rires] .Il m’a qualifié de magicien qui apportait de la magie à ce film.

Je reviens un petit peu sur le quotidien. Au départ, je voulais montrer la raison pour laquelle [Tiger] avait commencé ce type de performance. Mais je me suis dis que si je montrais cela, peut-être le public penserait déjà avoir assimilé le personnage et que nous allions être amenés à nous arrêter, ce qu’il ne fallait pas faire. C’est un personnage qui se donne un côté ‘mystérieux’, un peu de magie à son propre personnage. C’est aussi une mise en scène artistique de son personnage. C’est lui qui laisse les gens réfléchir. Je me suis dis qu’il fallait que je procède de la même manière, que je laisse le public réfléchir, imaginer et c’est ce que j’ai fais.

Nos plus sincères remerciements vont droit à Xavier Norindr et la société Crosslight pour nous avoir convié à cette entrevue, au festival Kinotayo, à l’interprète du festival ainsi qu’à Yoshinori Sato pour cette délicieuse rencontre. 

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