Après nos interviews avec Yoshinori Sato et Leo Sato , voici notre dernière interview du festival du cinéma japonais contemporains Kinotayo, et pas des moindres, puisque c’est le grand producteur Kazuhiro Sugawara que l’équipe a eu la chance de rencontrer. Kazuhiro Sugawara aura travaillé corps et âme dans l’élaboration de films dramatiques et élégants, dont Over The Fence en 2016, Sketches of Kaitan City en 2010 et puis le dernier And Your Bird Can Sing, sorti en 2018 et réalisé par Sho Miyake. C’est cette dernière pépite qui a été diffusée sur les grands écrans du festival Kinotayo. Adaptation d’une des œuvres de Yashushi Sato, And Your Bird Can Sing s’approche au plus près d’une jeunesse fougueuse, mais errante, une jeunesse interprétée par trois acteurs au jeu fascinant. Pour ce dernier portrait, Kazuhiro Sugawara vient porter les couleurs de cette collaboration dont on se régale !
Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Kazuhiro Sugawara : Je m’appelle Kazuhiro Sugawara, j’habite à Hakodate, sur l’île de Hokkaido. C’est une petite ville de pêcheur où j’ai une salle de cinéma. Tout en la dirigeant, je produis des films depuis une dizaine d’années, et And Your Bird Can Sing est mon quatrième film en tant que producteur.
Pouvez-vous nous parler de votre formation de votre carrière de producteur et notamment de Over The Fence ?
Kazuhiro Sugawara : Je n’ai jamais suivi de formation de producteur, j’ai appris sur le tas. Le premier film que j’ai produis, c’est Sketches of Kaitan City. C’est vraiment un film que je voulais réaliser. J’ai appris le rôle de producteur tout en produisant ce premier film. Je ne sais pas si j’ai vraiment appris une façon de produire, mais j’ai surtout voulu mener ce projet.
Parlez-nous de And Your Bird Can Sing et de sa genèse ?
Kazuhiro Sugawara : Vous avez évoqué Over The Fence, mon troisième film entant que producteur. Pour mes trois premiers films, j’avais quasiment la même équipe, et pour mon quatrième film, j’ai changé d’équipe, et je voulais aussi produire ce film comme un film indépendant, et ne pas utiliser le système de comité de production, ce qui veut dire que je voulais avoir le plus de contrôle possible sur le film.
Comment avez-vous vécu cette collaboration avec le réalisateur Sho Miyake ?
Kazuhiro Sugawara : Le roman d’origine que j’ai apporté, a été écrit en 1980, il y a quelques temps déjà. Je voulais un peu changer d’époque et le réactualiser à notre époque. Bien sûr, c’est une histoire sur les jeunes et je voulais confier la réalisation de ce film a un jeune réalisateur qui a à peu près le même âge que les personnages. J’ai donc commencé à regarder des long-métrages réalisés par ces jeunes réalisateurs et je suis tombé sur un film indépendant, Yakuta Tazu de Sho Miyake. Les personnages jeunes qui sont présentés dans ce film ressemblent beaucoup à ceux qui apparaissent dans ce roman. Du coup, je me suis dis qu’il fallait peut-être confier la réalisation de ce film à Sho Miyake.
Vous parliez de cette affection pour la jeunesse, vous êtes tous deux passionnés par la complexité des relations entre les jeunes, et justement, avec deux carrières différentes, de conceptions différentes, comment êtes-vous parvenus à créer quelque chose qui vous ressemblait tous les deux ?
Kazuhiro Sugawara : Lorsque j’ai choisi Miyake, je savais qu’il fallait que je lui donne un maximum de liberté, je ne lui ai pas donné beaucoup de directions. D’ailleurs je lui ai laissé choisir les équipes et les acteurs. Ce que j’ai essayé de faire, c’est de garantir les meilleures conditions de tournage.
Dans votre rôle de producteur, quelle difficulté avez-vous ressenti à adapter un ouvrage en film ? Sur une époque contemporaine ?
Kazuhiro Sugawara : Effectivement, le changement d’époque a fait qu’on a rencontré quelques difficultés. La fin est très différente dans le roman et dans le film puisque la fin du roman nous paraissait un petit peu inadéquate à notre époque. Donc avec Mr Miyake, on a beaucoup discuté et on a décidé de changer la fin.
Les personnages incarnent-ils une forme d’espoir qu’on ne retrouve plus dans la jeunesse contemporaine japonaise aujourd’hui ?
Kazuhiro Sugawara : Je ne sais pas si on peut parler d’espoir, mais je pense que Mr Miyake a essayé de filmer tel que les jeunes sont de nos jours et d’avoir un regard très intime. D’ailleurs, j’étais tout à fait d’accord avec cette volonté. C’est au public de trouver de l’espoir ou non.
Quels messages avez-vous envie de faire passer à la jeunesse qui regarde ce film et s’y identifie ?
Kazuhiro Sugawara : Lorsque j’étais jeune, aller voir un film était quelque chose de très précieux. J’espère que les jeunes qui viendront regarder le film puissent avoir un environnement plus facile à vivre. C’est quelque chose dont je peux témoigner d’après mon expérience en tant que spectateur.
Comment avez-vous envie que le public français qui visionne le film le réceptionne ?
Kazuhiro Sugawara : Bien sûr, nous vivons dans des pays différents, nous avons des luttes différentes, mais je voudrais que le public français comprenne que dans une petite ville japonaise, certains jeuens ont aussi les mêmes problèmes qu’eux. Nous n’avons pas les mêmes origines, nous ne partageons pas les mêmes métiers, mais nous ne sommes pas si différents que ça. On peut avoir les mêmes problématiques. J’espère que cela puisse aider ces jeunes français.
Est-ce que vous pensez qu’au Japon, les jeunes et le public qui regardent le film s’identifient finalement plus facilement à des personnages qu’ils voient en écran que plutôt qu’un ouvrage ?
Kazuhiro Sugawara : Oui tout à fait. Le roman est une oeuvre totalement indépendante même si il a été écrit il y a 40 ou 50 ans, je pense qu’il y a encore quelque chose qui peut être compris de nos jours. Ce sont deux œuvres différentes.
Dans votre travail de producteur, en essayant d’appréhender toutes ces complexités, avez-vous senti qu’au Japon, la jeunesse éprouve un sentiment d’abandon de soi et par la société ?
Kazuhiro Sugawara : Lorsque j’étais jeune, quand j’avais moins d’une vingtaine d’années, j’avais cette impression d’appartenir à personne ou à rien. Peut-être est-ce toujours la même chose chez les jeunes de nos jours. Sans raison, je croyais que demain serait meilleur qu’aujourd’hui. J’aurais peut-être l’envie que les jeunes d’aujourd’hui puissent partager le même avis, même si c’est très difficile quand on regarde les informations de nos jours. J’aimerais donc qu’il y ait de l’espoir, mais je ne peux pas réellement parler à leur place.
Avez-vous une anecdote un peu particulière pendant le tournage du film, une chose qui aurait changé votre conception du tournage ou votre interprétation de l’ouvrage ?
Kazuhiro Sugawara : Après une semaine de tournage, les acteurs et figurants partagaient de l’alcool, et même l’équipe, ils faisaient semblant d’être clients fidèle d’un lieu. Même les acteurs, caméramans et les techniciens ont déposé leur matériel et ont tous dansé une fois avant de commencer à tourner. Ca a permis aux acteurs d’être plus libre en jouant cette scène.
Avez-vous un message important à faire passer, une chose que vous n’avez pas encore dit mais qui vous paraît important ?
Kazuhiro Sugawara : Comme je l’ai dis, j’ai une petite salle de cinéma à Hakodate. En produisant des films, je me suis rendu compte que ça participait à l’animation de la ville. Il y a de moins en moins de salles de cinéma à Hakodate, mais ces films produits ont réussi à faire venir plus de spectateurs dans ma salle et plus de touristes. Ceux qui ont vu les films ont apparemment ressenti l’envie de venir visiter la ville. Il y aussi des touristes étrangers, plus qu’avant en tout cas. Et en tant qu’habitant d’Hakodate, je suis ravie de ces observations.
Nous tenons à remercier sincèrement l’équipe du festival Kinotayo, Xavier Norindr de la société Crosslight et l’interprète pour nous avoir accordés cette délicieuse entrevue.