A l’heure où les acteurs coréens se font valoir pour leur charisme, où les idoles éblouissent les fans par des performances ultra-modernes, où la culture coréenne laisse son empreinte dans le monde, le système coréen cache une toute autre réalité, influencée par un passé de guerre, une histoire traumatisante pour ses citoyens, un système politique quelque peu instable et des traditions bien ancrées dans la vie sociale.
Parmi ces traditions émergent aussi des obligations que les citoyens se doivent de respecter afin de se conformer aux normes. L’une de ces obligations est la conscription, connue sous le nom de service militaire obligatoire.
La Corée du Sud fait partie de ces derniers pays d’Asie Orientale à imposer le service militaire à ses citoyens uniquement masculins, pour une durée de deux ans. Une tare pour certains, un devoir à accomplir pour d’autres, le service militaire en Corée est d’autant plus d’actualité aujourd’hui qu’il interroge sur de nombreuses problématiques actuelles, non seulement parce que le climat politique est fragile, mais aussi parce que la popularité de la culture coréenne accroît à toute vitesse, et fait naître chez les autres pays le doute sur la nécessité de conserver cette obligation, souvent signe de méfiance vis-à-vis d’un pair, ou d’une monopolisation d’un pouvoir par l’armée.
Avant de définir les spécificités du service militaire en Corée, partons peut-être d’un message de l’artiste coréen germanophone Madmans Esprit pour en définir les ambiguïtés.
Madmans Esprit est un artiste de visual Kei, coréen, qui s’est installé à Berlin en 2014. Pour comprendre son message publié en septembre 2018, il faut savoir que le droit du sol n’existe pas en Corée, comme dans une grande partie des pays d’Asie Orientale. Autrement dit, on a la nationalité coréenne par le sang. Aussi, l’aide apportée aux personnes souffrantes de maux, de pathologies psychologiques ou simplement de dépression est quasi inexistante, étant donné que les souffrances psychiques sont peu “tolérées” :
“Pourquoi je suis prisonnier de la Corée du Sud.
Certains d’entre vous le savent, je suis coréen, né en Corée, j’ai déménagé à Berlin il y a 4 ans. Mon art et mon avis politique n’étaient pas acceptés par la majorité en Corée du Sud. Je n’ai jamais considéré la Corée comme mon pays et il semble que ma vie et mon groupe se portent plutôt bien à Berlin.
Mais en 2017, j’ai reçu une lettre du département militaire coréen, qui m’a garanti que si je ne retournais pas à Séoul finir mon service militaire, cela serait considéré comme une évasion et je risquerais l’emprisonnement. En Corée du Sud, 21 mois de service militaire sont obligatoires pour tous les hommes. Contrairement à l’image de la Corée du Sud en Occident, l’armée coréenne est inhumaine. Le contact avec le monde extérieur est sous contrôle, nous ne sommes pas autorisés à avoir un téléphone, nous ne pouvons sortir de la base que pendant 31 jours de vacances répartis en 4-5 fois durant l’entière durée du service. Le niveau de vie est vraiment bas et à cause des abus verbaux, physiques et sexuels, une personne met fin à ses jours quotidiennement […]”
Nous n’avons sélectionné qu’un passage de son témoignage simplement pour montrer que le service militaire coréen se fondait d’abord sur le fait que tout résident coréen, de nationalité coréenne devait effectuer son service pendant 21 mois, sous peine d’encourir l’emprisonnement pour avoir failli aux devoirs envers la nation et avoir refusé la réquisition demandée par l’état.
Les spécificités de la conscription en Corée
Le service militaire en Corée du Sud, qu’il faut absolument différencier de celui en Corée du Nord fait partie de l’un des 4 devoirs constitutionnels obligatoires pour un citoyen masculin coréen. Réquisitionné d’urgence ou simplement après avoir postulé pour un des examens qui permettrait de définir son poste, le jeune coréen a le devoir d’effectuer son service militaire dès lors qu’il a atteint sa majorité et ce jusqu’à 36 ans maximum. La durée du service varie en fonction du type de poste que l’on pourvoit.
D’une part, il existe le service en tant que soldat actif, qui incarne la conscription pour un corps de l’armée (armée de terre, de l’air, marine) : ce service peut aller de 21 à 24 mois. D’autre part, le soldat non actif sert dans la fonction publique (police, pompier, service public, administration publique…) de 24 mois à 36 mois.
Certains corps sont plus prestigieux que d’autres et par là plus difficiles. Le cas le plus révélateur est celui de la Marine. Voilà pourquoi le jeune citoyen va être évalué non seulement sur ses compétences, ses capacités physiques, intellectuelles, son âge mais surtout sur sa santé afin d’être pourvu au poste qu’il sera le plus apte à servir. Ces critères sont définis à la suite d’examens passés par le candidat. Certains postes de l’administration publique sont par exemple réservés aux handicapés physiques. Aussi, l’âge compte pour beaucoup, étant donné que les compétences physiques s’amoindrissent à mesure que la personne prend de l’âge.
Si refus il y a d’effectuer son service militaire pour une quelconque raison, le jeune citoyen peut être non seulement emprisonné jusqu’à 18 mois mais aussi banni de Corée.
Dès lors qu’on est coréen de nationalité coréenne, on s’engage nécessairement moralement et légalement à servir sa nation en effectuant sa conscription. C’est là où réside l’ambiguïté, et où surgissent certaines protestations : de nombreux coréens qui ont quitté le pays et qui se sont naturalisés sur leur nouveau sol ont pour obligation d’effectuer ce service, sans moyen de le contourner ou de l’effectuer comme dans le cas de nombreux pays occidentaux de manière simplement administrative.
Il existe aussi l’exemption du service militaire : certaines personnes qui ne sont pas habilitées à remplir ce devoir peuvent êtres exemptées, c’est-à-dire autorisées à ne pas l’effectuer. Au contraire, d’autres, comme le capitaine de l’équipe de football se sont vus exemptées de service militaire pour service rendu à la nation, après avoir remporté un match face à la sélection japonaise.
En ce qui concerne les caractéristiques du service à proprement parler, le plus classique reste celui de l’armée de terre. Les entraînements classiques sont suivis par tous pendant quelques semaines, y compris ceux du service public, avant que chacun ne soit affecté à son poste. Encore une fois, la rigueur s’impose : pas de contact avec l’extérieur, pas de téléphone, un emploi du temps réglé à la minute près, des travaux à effectuer. Là-bas, les coréens apprennent à obéir à une autorité, à servir leur nation, à travailler en groupe pour mener à bien les missions demandées. On leur apprend aussi à manier les armes, à respirer des gaz toxiques, à servir les populations dans le besoin, à leur apporter un approvisionnement…
Si la Corée maintient cette conscription stricte, c’est parce qu’elle vécu a un passé de guerre qui a conduit sa population à souffrir de la pauvreté, la famine, qui a complètement fragilisé son système politique, avec la séparation des deux Corée, qui l’a totalement affaiblie. Reconstruite depuis une trentaine d’années maintenant, avec une culture populaire qui se diffuse intensément, une technologie qui l’a propulsée au sommet, un tourisme attrayant, la Corée du Sud maintient toujours ce mécanisme de défense : le service militaire ce n’est pas simplement apprendre à servir son pays, c’est apprendre à défendre sa nation en cas d’attaque. Tout jeune homme doit être apte à répondre à un appel de l’armée en cas de risque.
Le problème, c’est que désormais, la Corée fait partie d’un de ces rares pays où le service militaire est aussi rude. Entre obligation qui doit se perpétrer et mouvements “humanitaires” qui protestent en faveur des droits de l’homme, la Corée du Sud est elle-même en proie à des doutes face à ce que beaucoup considèrent comme un signe d’instabilité morale et politique.
Pourquoi émergent autant de questionnements quant au maintien du service militaire ?
A l’évidence, les premières protestations sont morales. C’est en faveur des droits de l’homme que de nombreuses associations, mais pas que, manifestent. L’on dénonce alors un non respect des droits fondamentaux de l’homme et donc de sa dignité. Cette contestation concerne davantage le service actif que le service non actif, étant donné qu’il requiert plus de force physique et mentale. L’entraînement au gaz fait par exemple polémique pour sa toxicité envers les hommes. La rigueur et la sévérité, qui amènent parfois à l’abus physique et mentale de la part des supérieurs à l’égard des recrues sont aussi fortement dénoncées : non seulement l’humiliation, mais parfois même l’abus sexuel et bien d’autres sévices. Beaucoup pensent aussi que le service est beaucoup trop long. Un jeune homme doit mettre entre parenthèses sa vie pendant deux années, et doit se préparer physiquement et mentalement à cette épreuve qui le rendra sûrement plus mature.
L’une des autres polémiques autour du service, c’est a contrario celle autour de l’exemption du service militaire. “Pourquoi celle-ci ne serait-elle réservée qu’à une minorité privilégiée ?” déclarent de nombreux coréens face à la polémique qui a partagé le monde de l’industrie musicale lorsque plusieurs politiciens ont suggéré que les BTS, après avoir activement participé à la diffusion de la culture coréenne à l’étranger, devraient en être exemptés pour grand service rendu à la nation. En d’autres termes, il est difficile de limiter les contours de ce qui doit être considéré comme suffisant et légitime pour justifier l’exemption d’un service. C’est d’ailleurs le milieu du divertissement qui est le plus touché par ces polémiques. Effectivement, beaucoup pensent que les artistes, qui doivent par conséquent mettre entre parenthèses leurs carrières musicales pendant deux longues années, repoussent sans cesse l’heure du départ pour bénéficier d’un traitement de faveur et accéder à des postes plus “faciles”, dans l’administration publique, en raison de leur incapacité à satisfaire les critères de recrutements pour le service actif. Le choix à faire implique donc un jugement de la part des fans mais aussi de la société, car le service militaire permet bien souvent à la personne d’être légitimée ou non dans la société coréenne et d’y trouver par là sa place plus facilement.
Enfin la dernière problématique et peut-être la plus ambiguë qui pousse à se demander si la conscription doit être toujours maintenue tient surtout de l’aspect diplomatique. En effet, il faut bien comprendre que le service militaire est une préparation à une réaction de défense et d’attaque en cas de catastrophe naturelle ou sanitaire mais aussi en cas de guerre. Le maintien de cette obligation en Corée pousse les spécialistes à se demander si il ne s’agit pas là d’une prévention évidente de la Corée du Sud face à de potentiels conflits. A l’heure par exemple où les relations avec le Japon n’ont jamais été au plus bas, il est commun de se demander si la Corée ne souhaite pas conserver ce mécanisme de défense. Il est vrai que le Japon s’est récemment rapproché de la Corée du Nord, mais a montré sa réticence vis-à-vis de rapprochements diplomatiques avec la Corée du Sud. Les spécialistes se demandent alors si il ne s’agit pas là d’un signe évident d’instabilité diplomatique sur la scène internationale.
En bref, le service militaire coréen fascine parce qu’il faut comprendre qu’il est étrange et paradoxal dans cette société coréenne pourtant de plus en plus puissante, de plus en plus construite, avec une diplomatie culturelle assumée et assurée, et un attrait pour elle qui la propulse sur le devant de la scène.
Sources images : koreasowls, franceinfo, soompi