Depuis quelques années émergent en Corée des mouvements féministes contestataires qui prônent l’obtention des droits de la femme, leur indépendance et surtout l’égalité entre les sexes.
La Corée a encore beaucoup d’efforts à faire pour sortir de ses structures patriarcales mais le combat mené par ces mouvements – et pas que – laisse entrevoir l’espoir d’une égalité – malheureusement loin d’être totale – entre les individus masculins et féminins.
Rappelons que la Corée du Sud, comme la majorité des pays, s’est construite sur le système du patriarcat. Cette ambition de vouloir conserver une culture de l’homme l’a amenée à plusieurs reprises à remettre en question la place des femmes dans son fonctionnement. Les politiques natalistes (ndlr : de contrôle des naissances) menées à partir de 1961, après le coup d’état de Park Chung-Hee, a conduit le pays dans les années 80 à voir s’accroître le nombre de féminicides (ndlr :avortement de fœtus femme).
D’autres questions restent encore des défis majeurs à relever : la question de l’avortement, disposée à une légalisation pendant une longue période, puis à une condamnation – encore aujourd’hui – reste un problème majeur de la société coréenne. Si l’avortement est condamné à l’heure actuelle, l’accroissement de son nombre, et même un nombre démesuré (une femme sur quatre entre 16 et 30 ans a déjà eu recours à l’avortement) laisse penser que la société coréenne doit revoir ses principes fondamentaux. L’exclusion des enfants hors-mariage, le manque d’éducation sexuelle auprès des jeunes, les tabous persistant encore (les mineurs n’ont par exemple pas accès à certains types de préservatifs), la mauvaise réglementation des modes de contraception et bien d’autres choses encore sont des preuves de la maladresse – ou de la mauvaise foi – de la Corée face à certaines de ces questions qui sont pourtant essentielles.
Notons aussi que dans le monde de l’entreprise, et d’ailleurs dans un nombre majoritaire de pays, s’appliquent ces discriminations sexistes : le salaire n’est pas le même, le harcèlement sexuel y est prédominant et les femmes ont un accès limité aux postes à responsabilité.
Toutes ces constatations, à l’origine de protestations légitimes, peuvent aussi être utilisées à tord par des mouvements féministes extrémistes qui mènent des actions d’empowerment (ndlr : de renforcement du pouvoir) abusives.
Le statut ambigu de la Corée
Le souci majeur de la Corée, c’est qu’elle semble donner l’impression d’avoir été forcée à considérer la légitimité de ses femmes. D’un point de vue économique par exemple, c’est la crise asiatique de 1997 ainsi que la crise actuelle qui ont poussé le pays à revoir le statut de l’homme travailleur et à voir le chômage toucher non seulement les femmes mais aussi les hommes. Les hommes se sont d’ailleurs retrouvés en compétition avec des femmes sur le marché du travail, étant donné que la montée en puissance économique du pays dans les années 70-80 avait ouvert la voie aux femmes, afin de satisfaire la demande de main-d’oeuvre. Aujourd’hui, c’est la jeunesse qui connaît le mieux la désillusion face au marché du travail. Le pays a aussi le taux de différence entre le salaire des hommes et des femmes le plus élevé au monde ; près de 36 % selon l‘OCDE.
Avant de parler de certains droits, il faut comprendre que le statut de la femme actuelle doit être lié à la culture du pays : un pays aux traditions bien ancrées dans un système patriarcal. Dans l’histoire coréenne, et surtout pendant l’ère Joseon, les femmes avaient pour habitude de s’occuper des enfants et de rester à la maison lorsque les hommes allaient au travail ; elles étaient “inférieures”. Si ces traditions tendent à évoluer, elles restent encore bien présentes car le respect du patrimoine culturel et des valeurs ancestrales est primordial dans la péninsule.
Au-delà de ces traditions, c’est simplement le fait de penser le statut de la femme qui a été difficile à concevoir pour le pays. Il aura fallu attendre 2001 pour que le Ministère de l’égalité des sexes et de la famille voit le jour. Encore là, on voit que la femme a un statut lié à celui de la mère, avant d’être celui de la femme émancipée. Il reste encore difficile pour une femme d’être considérée autrement que comme mère. Pour cette raison, les femmes ont elles-mêmes intégré l’idée qu’elles ne pourraient avoir les mêmes ambitions que les hommes : dans le monde du travail, elles se tournent alors vers des postes sans responsabilité, et le nombre de hauts fonctionnaires (dans la politique ou avec des postes de dirigeants) n’est que de 9%. Préférer sa carrière à celle de sa vie de famille devient donc un choix difficile à faire pour une femme, qui subit encore la pression non seulement de la société, mais aussi des anciennes générations, qui mettent sur ses épaules le poids de “devoir être mère”.
Si certaines mesures légales ont été prises, d’autres restent encore en suspens. C’est le cas du statut de l’avortement. Plus qu’une simple question qui porte sur le processus d’avortement, elle remet en question la capacité de la société coréenne à informer sur la sexualité, à mettre à disposition des modes de contraceptions efficaces (par exemple, le stérilet existe mais n’est quasiment pas utilisé), à changer ses mentalités et simplement à éduquer pour autoriser l’individu, qu’il soit fille ou garçon, à disposer de son corps librement sans qu’aucune pression ne le pousse à avoir recours à des procédures traumatisantes telles que l’avortement. Pendant des années, l’avortement était légalisé, pour freiner le taux de natalité. Mais désormais, avec l’un des taux de natalité les plus faibles du pays, le pays est divisé sur le droit à l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse). La fusée économique qu’est la Corée reste encore très fermée sur cette question, y compris à cause de la place importante des mouvements radicaux de la religion chrétienne, et les femmes ne peuvent avoir recours à l’avortement sans risquer des amendes, voire même de la prison. L’avortement se fait donc de manière illégale, et les médecins eux-mêmes peuvent être condamnés pour y avoir procédé. Des questions de santé émergent donc : les femmes risquent leur vie à avoir recours à ces procédures sans assistance médicale assurée et sans protection médicale légale.
Aussi, la Corée inscrit presque dans son fonctionnement non plus seulement une misogynie, mais bien une discrimination à l’égard des femmes en dehors des normes. Les femmes se doivent d’être parfaites, de correspondre à une image propre, et c’est par exemple la place importante des idoles féminines, leur hypersexualisation, l’image de la femme aux proportions normées et parfaites, qui poussent la femme à constamment penser à son image. Le paradoxe, c’est que même si les femmes protestent en faveur de leur émancipation, elles sont elles-mêmes prises dans un cercle vicieux, celui des discriminations à l’égard des autres femmes. En bref, les jeunes filles n’ont plus confiance en elles, veulent à tout prix ressembler à leurs idoles et ne sont plus aptes à se reconnaître. La pression dans le système scolaire et dans la société à cause du physique devient inévitable. Le pays ne favorise plus la particularité d’une femme, mais bien son conformisme à une image idéale.
Les mouvements féministes sont-ils vraiment efficaces ?
La violence à l’égard des femmes réside encore là-bas. Ce n’est pas un cas isolé bien sûr, mais les femmes prennent désormais conscience qu’elles se sentent en insécurité, voire même en danger, chez elles ou dans la rue. Le cas de cette jeune fille tuée à Gangnam en 2016 par un homme qui se défendait d’avoir accompli sa vengeance à l’égard de toutes ces femmes qui l’ont battu a remué la Corée. Après cet événement, et bien d’autres encore, les mouvements féministes ont cherché à gagner encore plus en légitimité dans un pays qui est finalement réticent à l’égard de leurs combats.
Parmi les plus gros mouvements protestataires, on retrouve par exemple le mouvement Femidea, une organisation basée sur internet qui traduit des articles en coréen, la Ligue d’Urgence des femmes, destinée à porter de l’aide à toutes les femmes dans le besoin, en situation d’urgence ou non, le mouvement Sans Corsets, qui veut se débarrasser de l’obsession pour la femme parfaite et détruire les critères de beauté arbitraires pour prôner l’acceptation de soi et la diversité, ainsi que le mouvement inspiré de son compatriote occidental “Me Too”, qui rapporte les cas de harcèlement et de pression notables quotidiennement.
Toutefois, le mouvement coréen le plus célèbre reste Megalia, aussi considéré comme extrémiste en raison de sa propension à favoriser la misandrie (opposé de misogynie) et ses méthodes peu orthodoxes. En effet, ce mouvement a pour tendance de protester non pas seulement pour l’égalité et la justice entre les hommes et les femmes, mais bien pour la remise en question du statut des hommes. Le problème, c’est que dans un pays qui ne reconnaît déjà pas suffisamment la légitimité de ces mouvements, Megalia se place comme un ennemi national en adoptant des méthodes qui peuvent être considérées comme des insultes à l’égard de certaines personnes. A la suite de nombreuses polémiques, notamment la diffusion d’images de sexes masculins mutilés, ou de soldats de la seconde guerre mondiale bafoués, Megalia et son dérivé Womad ont arrêté leurs activités en 2017 à la suite de nombreuses réclamations contre leur manipulation de l’opinion publique, la propagande extrémiste et le renforcement de la haine envers les hommes. Souvent d’ailleurs, c’est en réaction aux actions de ce fameux site que des mouvements extrémistes qui prônent la misogynie ont vu le jour en Corée.
En bref, les mouvements féministes neutres sont avant tout des mouvements de protection des droits des femmes, d’assistance aux femmes en danger avant même de penser l’égalité. Dans de nombreux milieux encore, la place de la femme fait office de débats houleux, comme par exemple dans le milieu musical avec la récente polémique qui a impliqué le rappeur SanE, accusé de misogynie à la suite d’une mauvaise interprétation de la chanson “Feminist”.
Les associations féministes et de protection de la femme tendent à s’imposer de plus en plus en Corée non seulement pour permettre le changement de certaines mentalités, mais aussi pour permettre à la femme d’être acceptée et de s’accepter sans éprouver le besoin de sexualiser son image en devenant une femme-objet pour se légitimer dans la société. Malgré tout, elles peinent encore à s’assumer face aux nombreuses réticences, en particulier issues du système politique et judiciaire et face au manque de volonté du pays devant un changement trop soudain. Le pays ne leur accorde pas suffisamment d’intérêt et elles tombent très vite dans la spéculation pour un combat qui apparaît alors vain.
Source : Florence Galmiche- le statut de l’avortement et mouvements féministes en Corée du Sud, RFI-AsiePacifique, lepoint, libération