A l’heure où certains l’appellent “le phénomène K-pop”, les lobbys sud-coréens, depuis quelques années, ont bien compris que la K-pop était un marché florissant à l’international et que l’effervescence autour de l’industrie de l‘idol, mais aussi de la musique plus underground, permettait de véhiculer l’esprit coréen et de faire de la Corée du Sud l’un des pays les plus en vogues du moment. Pour autant, si de l’extérieur, les occidentaux commencent à saisir les travers de l’industrie, après avoir été baignés pendant des années dans l’illusion d’un monde tout rose, en Corée du Sud, la vocation à devenir une idole capable de rivaliser la pop et le rap américain est toujours à la hausse, avec l’espoir de s’inscrire comme les nouveaux BTS ou de prendre la relève sur les TWICE.
Même si la tendance est au développement, la société sud-coréenne reste encore fragile sur certains points, à tel point qu’elle est controversée sur des sujets socio-politiques. Parmi toutes les zones d’ombres de cette société, la jeunesse est souvent la principale victime de ces maux. Après une propulsion sur le devant de la scène avec sa révolution technologique, débuts années 90, la Corée du Sud peine à gérer ses jeunes, désireux d’un avenir assuré, où le marché du travail ne serait pas congestionné, où la reconnaissance de leur potentiel et de leurs fragilités rentreraient enfin en compte sur un plan scolaire et où la place qu’ils auraient dans la société coréenne ne serait pas à tout moment menacée.
Pourtant, au milieu de ce combat quotidien, la jeunesse parvient à trouver une échappatoire, qui lui redonnerait presque l’envie de croire de nouveau en elle, et de pouvoir s’assurer d’un avenir meilleur, quoique toujours incertain, mais où elle s’autoriserait à pouvoir vivre de sa passion, tout en étant attestée d’être reconnue par les hauts gradés. Dans cette échappatoire, on retrouve l’industrie du disque, ou plutôt le nouveau “trésor national” qu’est l’industrie de l’idol. Cette nouvelle élite, au rôle bien précis, fait désormais fantasmer les jeunes, à tel point que les auditions se multiplient et s’étendent à l’international – les natifs coréens s’y précipitant pour retrouver leurs racines.
Ce qu’on appelle le “Korean Dream” est pourtant très controversé : en rentrant dans le cadre, tous ont l’espoir de pouvoir enfin exploiter leur personnalité et d’être reconnus pour ce qu’ils sont, sans penser qu’en réalité, l’industrie idol n’est qu’une reproduction, sur un plan différent, d’une société névrosée.
Le Korean Dream : lorsque l’industrie musicale crée l’élite
Un système scolaire élitiste à la dérive
Partons peut-être du constat simple que même si le système scolaire coréen se hausse parmi les systèmes académiques du monde qui présentent les meilleurs résultats, son fonctionnement est en réalité particulièrement instable. Comme bon nombre de ses voisins asiatiques, la Corée du Sud recherche avant tout la performance, le résultat, et surtout l’excellence. En bref, elle cherche toujours à renouveler ses élites.
Mais en se faisant aussi élitiste, le système scolaire oublie la notion de pédagogie et d’éducation et ne laisse plus à ses jeunes de place à l’imagination ou à l’aptitude. En fait, l’équilibre entre un enseignement riche et une éducation prometteuse est vite remis en question par cette pression permanente qui augmente le manque d’assurance, la mauvaise estime de soi, le pessimisme, les caractères qui corrompent la notion de bonheur. Seule une partie des étudiants parviennent donc à tirer leur épingle du jeu en se dévouant totalement à l’intégration d’une des meilleures universités du pays. En plus, l’exigence d’une jeunesse éclatante et d’une élite intellectuelle pousse la structure éducative à laisser émerger des problématiques sociales ou raciales. Plutôt que de donner aux adolescents l’envie de réussir et de vaincre certains préjugés, l’école ne fait que renforcer ce fossé entre une élite qui se démarque et les autres, les « moins intelligents » ou ceux qui ne bénéficient pas d’un cadre social prospère, ceux qui ont un accent, ou qui n’ont pas les mêmes moyens.
En fait, si les dirigeants refusent de régler le problème d’un système éducatif périssable, ce dernier courra à sa perte. Rappelons que la Corée à l’un des taux de suicide chez les enfants âgés de 10 à 19 ans les plus élevés du monde. Au delà de cette pression intense qui ne garantit pas aux jeunes coréens d’avoir un avenir paisible, le fardeau psychologique, que l’éducation peine à reconnaître. Pourtant, la reconnaissance d’une personne doit passer par la prise en compte des victimes de ce système. Malheureusement, le cas de ces jeunes victimes est très souvent tu, considéré comme tabou. En plus, dans la société coréenne, toute forme de tourmente ou de maux est assimilée à une “anomalie”, dont il faut à tout prix se tenir éloigné.
C’est la nouvelle génération qui parvient progressivement à retrouver espoir, et à être reconnue dans la société coréenne. Des jeunes, qui dévient de la sphère de cet enseignement académique – avec son modèle hiérarchique élitiste, son injustice, une pression continue, une asphyxie de la réflexion et de l’individualité- et qui décident de poursuivre leurs rêves. Parmi les modèles qui motivent ces jeunes, on retrouve la vague Hallyu, une référence qui au fur et à mesure des années gagne en reconnaissance en même temps qu’elle introduit la célébrité.
Ce que les médias internationaux surnomment la vague K-pop, ce sont en réalité le plus souvent des jeunes, qui, par passion, ou par besoin de reconnaissance –et pas directement de célébrité- pour leurs capacités artistiques, sortent volontairement du système éducatif, le mettent entre parenthèses, afin d’intégrer une industrie qui leur promet, à condition d’une persévérance et d’un travail acharné, peut-être l’accès à une place de choix, rare dans la société.
La nouvelle élite : des déviants
Pourquoi parle t’on d’une nouvelle élite ? Parce qu’à l’origine, si la musique est une échappatoire pour les jeunes, une forme d’anesthésie pour oublier les maux de la société, que les idols sont là pour faire figure de représentation et pour grossièrement « motiver les foules », désormais, parce que cette industrie est devenue une nouvelle mine d’or, ceux qui tireront leur épingle du jeu seront considérés comme la nouvelle élite. En effet, la perspective d’un avenir dans l’industrie musicale ne peut être nié, même si éphémère, et de nombreuses opportunités s’offrent aux jeunes.
Plus que fructueuse aujourd’hui, l’industrie musicale, contrairement au système scolaire, offre une « vocation » et non plus un travail. Et si les jeunes ont désormais l’espoir de faire partie de cette nouvelle élite, c’est parce que les idols viennent en réalité du même milieu qu’eux et qu’il est facile de considérer qu’à leur tour, il leur est possible de réussir grâce à leur passion. Une partie de la jeunesse est fascinée par l’éventuelle réussite dans un milieu où on permet au talent et à la créativité d’être valorisés et il n’est pas rare de croiser des adolescents sérieusement envisager de poursuivre une carrière d’idole.
Avec une reconnaissance à l’international de ses artistes -et surtout un marketing immense-, l’industrie musicale, et les diplomates coréens veulent faire de ces déviants -puisque la plupart abandonnent leurs formations universitaires et viennent aussi d’un milieu social modeste- les nouveaux acteurs d’une société coréenne qui donne l’impression de régler ses problèmes, d’une société coréenne qui met au centre de ses préoccupations la jeunesse.
Les représentants à la recherche de solutions : l’idole pour réparer ?
Avec la médiatisation intense de l‘idol, l’industrie est considérée comme une force dominante pour la société coréenne. En ceci, les représentants du pays ont bien assimiler que pour regagner la confiance des jeunes ou pour les motiver, il fallait s’adapter à leurs demandes. A côté des priorités, les politiciens ne manquent pas de rappeler aux jeunes à quel point il est nécessaire de persévérer. Pour cela, rien de mieux qu’une idole pour certifier que le travail paie… Depuis que l’industrie musicale va au-delà de ses limites, et s’impose aussi comme un outil politique, beaucoup la considèrent comme un moyen plus pacifiste de réparer ce qui est abîmé dans la société. Si la musique adoucit les mœurs, un groupe d’idoles qui scande avec ferveur “réussissez vos examens, nous sommes derrière vous” -sous-entendu, nous sommes aussi passés par là- est à coup sûr la bonne formule à adopter !
Même le système scolaire utilise de ces moyens, et veut rendre cette élite éducatrice, alors qu’ironie du sort, beaucoup de discours critiques lui sont immédiatement adressés. Exemple avec le cas du discours tenu à l’ONU du leader des BTS, RM. La formule « Love Yourself » associée à l’admiration que les jeunes portent pour ce que Bourdieu appellerait un “transfuge de classe” – un concept sociologique un peu fou pour désigner un jeune qui passe d’une classe sociale à une autre avec une formation d’excellence, alors qu’il vient d’un milieu modeste et qu’aucune condition ne lui est à priori favorable- devient alors source de motivation. Les artistes eux-mêmes, lorsqu’ils ont suffisamment de légitimité, relèvent les problèmes de société -de quoi pousser les jeunes à lever la main et clamer haut et fort leurs opinions.
D’un autre côté, c’est l’industrie musicale elle-même qui endosse le rôle du système éducatif et qui devient un véritable lieu d’éducation et de structuration, telle que la SM Académie, qui propose une formation qui fait presque office de diplôme. Le plus en son sein, c’est qu’on pousse les jeunes à être plus créatifs, à s’enrichir en apprenant les langues : l’anglais; le chinois; le japonais; pour pouvoir plus facilement s’exporter à l’étranger. Les jeunes voient alors cette nouvelle formation sociale comme une source d’enrichissement qui leur garantira à la fois une reconnaissance personnelle et une place de choix sous réserve d’être au sommet.
L’industrie musicale comme reproduction d’une névrose sociale et scolaire
Pourtant, l’on voit bien que même si les jeunes aspirent à devenir les idoles de demain pour échapper à tous les maux de la société, le problème est très loin d’être réglé. En fait, l’industrie musicale, malgré tout le potentiel qu’elle présente, et ses bons côtés, puisqu’elle en a quand même, n’est que reproduction d’une névrose généralisée et étendue à la société coréenne toute entière.
D’une part, ce qu’elle promet, c’est la célébrité, et non pas la reconnaissance. Le pouvoir et la pression augmentent progressivement, et avec ceci, toutes les facettes les plus sombres. Voilà pourquoi il n’est pas rare de voir certaines idoles succomber à la consommation de drogues pour s’échapper.. ou de voir d’autres abuser de ce pouvoir qu’ils ont entre les mains, avec des pots de vins versés et des tentatives de corruption, des histoires de favoritisme (Yonghwa des CNBLUE à l’université de Kyunghee)…
L’une des failles de ce système tient aussi de son caractère de reproduction d’une société en mal. Même si elle connaît ses heures de gloire, l’industrie musicale accentue les maux de la société : le rapport à l’image devient plus important dans une société où les diktats de la beauté sont déjà ultra-puissants, le rapport à l’argent plus malsain à mesure que le marketing est poussé à son extrême, et l’industrie musicale se fait mini-société de l’orgueil tandis que la société coréenne, parallèlement, ne soigne pas ses maux. Les politiciens reconnaissent certes les déviants qui réussissent –ce qui est évidemment une bonne chose- mais pas leurs jeunes en difficulté. Nécessairement aussi, une industrie névrosée donne naissance à une élite névrosée : l’industrie musicale échoue en ceci qu’elle bafoue le semblant d’assurance acquis en faisant de ces jeunes les objets d’une industrie et les pièces d’une machine. Elle dessine une potentielle élite, mais tout comme le système scolaire, étouffe ces êtres par des moyens parfois plus que pervers, tortionnaires et des sévices psychologiques rudes, voire physiques (EASTLIGHT), sans apporter une quelconque solution derrière et en accentuant son hostilité à l’égard des « faiblesses psychologiques ».
Ce qui est assez ironique, c’est que même si l’on pense que certaines idoles y ont échappé et donnent l’impression d’avoir reçu une formation différente, les sévices sont tus, tous simplement parce qu’elles ne peuvent se permettre de mettre en péril l’équilibre qu’elles ont mis tant de temps à construire.
Le rêve coréen présente ses limites et les idoles n’hésitent pas non plus à les dénoncer. A quoi bon vouloir créer des élites si on ne les accompagne pas dans l’éducation et qu’on ne les soutient pas ? La SOPA, la célèbre école d’arts de Séoul qui abrite chaque année un bon nombre des futurs idoles, n’hésite plus à dénoncer à travers ses vidéos les travers du système scolaire -le harcèlement sexuel et scolaire par exemple, qui conduit à un bon nombre de suicides- et de témoigner par la même occasion du fait que même ceux qui serviront de représentants pour la jeunesse bénéficient soit de traitements de faveur, ou soit ne bénéficient d’aucun accompagnement. En bref, même dans ces écoles spécialisées (Hanlim Arts School, Korean Arts High School…), on crée de la rivalité, de la compétition et de l’orgueil, rien qui n’aide réellement les jeunes à s’épanouir, même si on dit vouloir les aider à “développer” leur créativité…
Pour aller plus loin : Vers un oubli ou un retour de la musique ?
Ce qu’on vous exposait plus haut, c’est que la société nie parfois la personnalité d’un individu. La musique, comme toute autre forme d’art, cherche à l’inverse, la stimulation de sa créativité et de ses passions individuelles. Le paradoxe de l‘idol, qui tend à se dénouer aujourd’hui, c’est que pendant un long moment, l’industrie musicale mettait sur le devant de la scène des “images” et des “représentations” pour satisfaire un marché. Désormais, et c’est finalement le point positif, maintenant que la K-pop a une place confortable sur le marché international, elle se consacre davantage à la musique, et à l’inventivité d’un artiste.
Pourtant, on est encore loin des attentes d’une industrie musicale pure et dure. Voilà pourquoi il est de plus en plus fréquent de voir des personnes se tourner et porter de l’attention à un milieu plus indépendant, au milieu plus underground. Rien en occident n’égale ou ne se rapproche de la tendance idol d’extrême orient. En Corée du Sud donc, on ne peut nier la tension qui réside entre le musicien et l’idol.
Lorsqu’on parle d’idol, on ne parle pas directement d’artiste ou de musicien. Mais maintenant, on reconnaît que certains musiciens ont emprunté ce chemin et s’épanouissent. En plus de ça, une idole a encore plus de légitimité lorsqu’elle compose. Une petite partie du public de l’industrie musicale dévie désormais de cette tendance et recherche davantage de créativité et d’authenticité. Les producteurs et les représentants de l’industrie l’ont bien compris et essaient désormais de s’ouvrir à cette voie là. En ceci, l’industrie musicale devient encore plus exigeante et on espère qu’avec sa stabilité et sa place quasiment assurées, elle fera en sorte de revoir ses failles pour permettre à la jeunesse de véritablement s’épanouir.
Et si vous avez le temps, voici un reportage intéressant fait par CNA Insider, qui dénote de la difficulté à devenir une idole lorsqu’on est étranger : https://youtu.be/G66uRJ6pAfI.
Sources : irishtimes, scmp, Youna Kim-soft power et nationalisme culturel : la vague coréenne