Le karaoké, l’invention populaire préférée des jeunes d’Asie
Les origines du karaoké ne sont pas connues de manière précise. Beaucoup spéculent sur le créateur du karaoké, combinaison des termes karappo, le vide, et oke, pour okesutora, qui signifient “sans orchestre”. Entre Kisaburo Takagi, un disquaire fondateur de la marque Karaoke et de la société Nikkodo en 1962 et Daisuke Inoue, les rumeurs fusent sur le réel détenteur de la marque. Quoiqu’il en soit, le karaoké a été inventé sur l’archipel japonais, très sensible à la musique populaire et à la nécessité de se divertir après une dure journée de travail.
Entre amis, seul ou entre collègues, le karaoké s’inscrit de nos jours comme un loisir incontournable de la culture de l’extrême-orient, au Japon certes, mais aussi en Corée sous le nom de Noraebang, voire même à Hong-Kong, les jeunes étant friands de chansons populaires. Le karaoké voit aussi ses outils se développer. Si à l’origine, il s’agissait simplement d’un magnétophone avec un microphone pour permettre aux gens de laisser leur âme cantatrice s’exprimer, le karaoké est aujourd’hui un véritable lieu de divertissement, avec des salles, des ordinateurs, des animations, et des vidéos (videoke) pour permettre à chacun d’exploiter au mieux son envie de performance.
Et le droit d’auteur dans l’histoire ? C’est l’une des questions les plus sensibles du karaoké. Si beaucoup ne s’appliquent pas à respecter la législation, la plupart des karaoké extérieurs fréquentés utilisent simplement une mélodie avec d’autres tonalités, des versions simplifiées du morceau ou paient une licence pour le droit de diffusion et d’appropriation des musiques.
Le karaoké, ça n’est pas simplement le lieu où l’on peut s’amuser. Désormais, le karaoké est une véritable pratique, applicable à la maison, sur les émissions télévisées et bien plus encore. La popularisation du karaoké est telle que l’occident s’y est aussi mis depuis la fin des années 80, éveillant un sentiment de nostalgie chez quiconque prend le micro pour interpréter un tube de sa jeunesse. Au Japon et en Corée, la chanson populaire est davantage honorée par les tendances de l’idol, de l‘anisong (bandes-sons des anime) ou encore des genres populaires d’antan, dont le trot ou la musique japonaise traditionnelle.
Un lieu social et politique
Si il s’agit d’un divertissement, le karaoke se fait aussi un lieu politique et une pratique sociale. Les karaoké du Japon et de Corée mettent à disposition des box ou des salles à thèmes à réserver pour quelques heures ou toute la nuit, aussi lieux de discussions, où il est possible, voir même essentiel, de commander de quoi se désaltérer ou grignoter.
En fait, le karaoké, c’est une pratique destinée à renforcer les liens entre amis, mais aussi entre collègues. Côté nippon, il est fréquent de retrouver des karaoké d’entreprises, après des signatures de contrats ou des visites professionnelles. Désireux d’aller au Japon, vous n’y manquerez pas, le karaoké après une promesse d’embauche est une tradition par laquelle il faut passer pour s’initier à la vie communautaire et sociale du pays. La hiérarchie est mise entre parenthèses le temps d’une chanson et le karaoké se fait donc l’abri des interactions et relations professionnelles.
C’est peut-être cette dimension sociale qui différencie le plus la notion occidentale de karaoké de la valeur orientale. Mais il est de plus en plus courant de retrouver, par exemple dans notre capitale, ces salles et box de karaoké, au détriment du karaoké à la maison, qui perd de sa notoriété, souvent réservé aux repas de famille et autres fêtes d’anniversaires.
Soigner les maux par la chanson populaire ?
La musique populaire s’est longtemps opposé à la musique des “élites”. Alors, à sa naissance, le karaoké s’est transformé en cet eldorado pour les chanteurs du dimanche, avides de scènes inaccessibles. Encore aujourd’hui par exemple, les femmes japonaises se retrouvent entre amis au karaoké pour réaliser leur rêve de petite fille et s’échapper quelques instants de leur rôle de “mère” ou de “femme mariée”.
La musique populaire s’affranchit des normes de la musique d’orchestre ou de la musique jazz, blues d’experts et autres virtuoses. Non, le karaoké s’ennuie des prodiges à l’ambitus illimité et aux voix d’une puissance sans nom et préfère au contraire ces âmes timides venues extérioriser leur passion pour une chanson. D’ailleurs, au Japon, les individus ont pour la plupart ce “karaoke no ongaku”, autrement dit, un titre favori à interpréter. Fan de Arashi, de B’Z, de Ikimono Gakari ou bien de Yumi Arai, de city pop ou de pop idol, le karaoké est prêt à vous écouter chanter et évacuer toutes vos passions, et ceci, à toutes heures de la journée !
Selon une étude menée par Aline Moussard et Emmanuel Bigand, la musique est un “outil de stimulation cognitive”, c’est-à-dire que les sonorités et vibrations trouvées dans la musique et notamment dans la musique populaire, augmentent la stimulation du cerveau, participent à son évolution, à son développement et peuvent même être utilisées dans les traitements de certains patients, atteints de tumeurs, d’Alzheimer, ou d’anxiétés généralisées. La musique, “cette invention [qui] aurait contribué à transformer le cerveau humain durant l’évolution, ce qui expliquerait la place qu’occupe aujourd’hui la musique dans les activités humaines.” Entre autre, la musique, parce qu’elle nous accompagne en permanence, même sous forme de vibrations ou d’ultrasons, s’inscrit définitivement dans nos pratiques en permettant de soigner les maux. Le cerveau de l’enfant est très sensible à la musique, d’où la nécessité de le stimuler avec des comptines, ou d’autres types de stimuli auditifs.
Véritable actrice de nos humeurs, la musique, qu’elle soit populaire ou non, s’impose donc à nous comme une thérapie, essentielle dans notre développement. En plus de stimuler la mémoire et d’éveiller des sentiments de nostalgie et autres, la musique populaire rapproche les êtres grâce à toutes ces petites sonorités inaudibles, qui font pourtant le lien entre des personnes, en fonction de leur sensibilité et de la manière dont ils les perçoivent. Le karaoké, ça n’est donc pas simplement un lieu de divertissement, mais bien un lieu où les sens sont exaltés et ou les liens se créent aisément, parce que la musique a ce pouvoir d’influencer notre cognition. Le karaoké peut donc lutter contre un stress post-traumatique, un sentiment d’angoisse ou une profonde tristesse. A contrario, il développe les sentiments de mélancolie, d’émerveillement et d’assurance et permet ainsi d’éveiller la sociabilité, la confiance en soi et l’intelligence, en stimulant aussi le langage.
La musique populaire et le karaoké rapprochent aussi parfois les communautés entre elles, et deviennent donc plus que des divertissements. Dans le cas d’un conflit ou d’une situation sociale et politique complexes, le karaoké fait office de thérapie et rapproche les individus entre eux. N’ayez crainte, que vous sachiez chanter ou non, le karaoké est fait pour vous, et vous permettra réellement de souffler dans les moments les plus difficiles.
Vous pensez ne jamais avoir la chance de vous adonner à un karaoké traditionnel ? Ne manquez surtout pas la deuxième partie de notre reportage dès la semaine prochaine !
Source : Aline Moussard, “La musique comme outil de stimulation cognitive”, dans l’Année Psychologique
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