Du 16 au 20 octobre dernier s’est déroulée l’édition annuelle de la convention Asia Now, el dorado de la découverte de l’art asiatique contemporain. Œuvres d’artistes coréens, chinois, taïwanais ou japonais s’y sont retrouvées exposées pour le plus grand bonheur des spécialistes et des acheteurs. Mais que connait-on réellement de l’art asiatique, et plus particulièrement de l’art chinois, qui a un poids incontestable sur le marché de l’art mondial ? Souvent considéré comme un marché de niche réservé à une élite, le problème soulevé par les principaux acteurs de cette industrie, après mûre expertise des tendances, est une question simple, pourtant terriblement essentielle pour en concevoir les avancées : quelle place pour les jeunes sur le marché de l’art contemporain ? A cette question s’ajoutent celles concernant la montée en puissance des artistes chinois, la hausse flagrante des prix, et la rupture de la communication entre les galeristes occidentaux et les artistes indépendants chinois, qui s’imposent comme un contre-pied à la structure traditionnel de la boucle de l’art.
Une brève peinture de la situation actuelle de l’art contemporain chinois
Pour la comprendre, il faut déjà en poser les caractéristiques : si de nos jours, la Chine constitue l’un des berceaux de l’art contemporain, c’est d’une part en vue de la floraison de collections d’artistes qui fascinent toujours plus l’acheteur et le galeriste occidental, à la recherche de la “sensibilité orientale”, d’un ailleurs, et d’autre part, l’hypertrophie d’une élite chinoise aisée, prête à investir sans compter dans l’art, l’un de ses nouveaux péchés-mignons. Pour dire, en bourse, le pays s’installe en 2018 à la troisième place des plus gros investisseurs, après avoir dégringolé de sa place de leader obtenue en 2011, décrue qui n’est absolument pas à ignorer.
Les années 2000-2010, par son développement économique fulgurant ont été pour la Chine un spectacle exponentiel de ses capacités à s’approprier et s’installer sur des marchés à priori aux antipodes de ses premières préoccupations. Si l’art chinois traditionnel est de toute évidence reconnu dans le monde, pour son histoire, sa richesse et son symbole spirituel, l’art contemporain se fait désormais le hameau de nouveaux artistes et collectionneurs, avides de reconnaissance. Pour citer un nombre, elle représente pas moins de 11,4 milliards d’euros !
Les conventions se multiplient, réunissant toujours plus d’experts, de collectionneurs et d’artistes. Pour dire, Asia Now a été l’occasion de découvrir pas moins de 13 collections d’œuvres chinoises -Hong-Kong compris- sur les 43 galeries, et le projet “IRL platform” a été imaginé par X Zhu Nowell, avec 9 collections chinoises sur 15. Les personnalités invitées pour les conférences étaient sans conteste pour beaucoup originaires de Chine : X Zhu Nowell pour l’introduction au projet IRL, Li Zhenhua et He Xiangyu pour un commentaire de l’ouvrage “Le livre Jaune”, Lu Xun, fondateur du musée d’art Sifang pour une discussion sur les institutions privées, Fang Fang, artiste à l’origine de la Star Gallery à Beijing pour dresser une expertise de l’état du marché de l’art asiatique aujourd’hui et bien d’autres encore…
En bref, il est désormais impensable d’accoucher de l’art contemporain sans faire mention du pilier chinois. De Zao Wou Ki à Yue Minjun, les galeristes et musées s’arrachent les travaux des artistes chinois.
Alors, sous preuve du contraire, le marché de l’art contemporain chinois étant jusque là au sommet de son art, comment en expliquer l’avenir sombre que les technocrates du milieu prédissent ?
Un avenir gris : quelles solutions envisagées pour redonner ses couleurs au marché chinois ?
Comme énoncé plus haut, le mouvement à tendance régressive du marché chinois est une situation qui inquiète et suscite l’intérêt des spécialistes, donnant même lieu à une discussion lors du festival entre Fang Fang, Serge Tiroche, co-fondateur de la collection Tiroche DeLeon, Thomas Eller, pilier de la Gallerie Weeend Beijing, et Ariane Piper, le tout supervisé par Melanie Gerlis, observatrice du marché de l’art pour le magazine Financial Times.
En confrontant tous ces experts, il est évident que tous remarquent que l’une des principales causes de ce pessimisme est l’inflation des prix du côté chinois, qui gangrène le marché, “la dynamique en Chine est donc très lente parce que les européens n’achètent plus”. Pour Fang Fang, qui s’étonne de cette remarque générale, “qui peut fixer un prix de marché aujourd’hui?”.
Au delà des prix, c’est surtout “la structure”, notion essentielle dans la machine, qui dénote d’un potentiel coup de frein du marché chinois. Ce que Thomas Eller remarque, c’est que malgré l’attention portée à l’égard des artistes chinois, la structure relative à la Chine reste “très indépendante”, la “législation” diffère de celle exposée sur le marché international. Cette “structure des marchés” influence donc le rapport entre les galeristes et les artistes, qui ne parviennent plus à se comprendre, ni même à communiquer, créant alors un fossé qui ne peut être comblé par un simple intérêt. C’est donc cette dynamique structurelle du marché chinois qui s’éloigne des tendances occidentales établies depuis longtemps. Ce qu’il faut rétablir, c’est donc une “réelle connexion” et un mouvement essentielle dans la relation galeriste-artiste, “une structure émotionnelle”. Loin de s’arrêter à l’aspect économique, le marché de l’art contemporain est avant tout un marché du coup de cœur, de la dévotion, de la passion et du tissage de liens émotionnels.
Tous remarquent que la présence des galeristes en Chine est insuffisante, en raison d’un éloignement géographique mais aussi émotionnel, qui empêchent le marché de foisonner, et de s’implanter correctement à long terme. Serge Tiroche évoque d’ailleurs ces “stratégies à long terme”, qui doivent être envisagées par les artistes chinois pour qu’ils “ne plongent pas”. Pour lui, les “jeunes artistes ont tendance à devenir chers trop vite”. Pour contrecarrer cette chute, il faut donc que le marché chinois prenne conscience qu’il ne peut avancer à distance des autres marchés, et que les artistes chinois se mettent sur “les plateformes internationales”. Pour stimuler donc les relations, il faut que celles-ci obéissent à des stratégies à long terme, et qu’elles puissent être suffisamment solides et profondes pour permettre de dynamiser le marché local en augmentant le nombre de galeries en Chine, d’installer durablement les artistes chinois sur la scène internationale, d’assurer un avenir prospère et toujours dynamique, sans soumission à des absolus qui tiennent plus de l’ordre de la performance et de rendre la Chine “prête pour le marché”.
Son décollage lui a donc tiré une balle dans le pied, à tel point qu’elle ne parvient pas à suffisamment contrôler ce marché, en lui posant des limites pour installer un cadre clair. En plus, l’une des inquiétudes principales tient de ce renforcement du contrôle politique d’un régime autoritaire, qui contrebalance quant à l’émancipation spirituelle et le libéralisme économique propre au marché de l’art contemporain.
La situation à Hong Kong étant critique, elle engendrera de toute évidence des conséquences. En effet, Hong Kong est aux côtés de Shanghai l’un des centres économiques chinois les plus pétulants : place boursière enflammée, échanges internationaux quotidiens et compréhension de la dynamique occidentale sont ses principaux atouts. Voilà pourquoi la Chine risque de perdre -et perd déjà- sa carte maîtresse, son tremplin à l’ouverture et à la compréhension des mouvements internationaux.
Enfin, et parce que la question reste insolvable à l’heure actuelle, comment dynamiser le marché et transmettre à la jeunesse cet intérêt pour l’art contemporain ?
A l’évidence, la Chine peut elle proposer ses propres réponses : contrairement au marché international, c’est la jeunesse dorée et la nouvelle vague d’artistes de moins de 40 ans qui soutiennent encore le potentiel de la Chine, loin d’être mis sur la touche !
Sources : lemonde, leséchos, le quotidiendel’art, yanggallery, asianow, timeout