Le mois dernier, à Londres, berceau d’un méli-mélo de punk, d’originalité, et d’un savoir-faire-la-fête, le Southwark Park, sous un cagnard de plomb écologiquement inquiétant pour une région habituée à la grisaille et non aux orages, accueillait les férus de hip-hop pour une deuxième journée placée sous le signe de la volubilité musicale et parolière, à savoir le rap. Ce genre qu’on a distordu dans tous les sens en l’injectant de façon désormais si évidente à la K-pop, ce genre qui en France, est le plus consommé, ce genre qui dit tout, mais que les intellectuels ont trop souvent voulu faire taire par soucis de bienséance. Et pourquoi ? Parce qu’il est né des luttes sociales, des conflits raciaux et politico-économiques. Parce qu’il est l’un des styles les plus écoutés par les jeunes, et parce que l’avis des jeunes, toujours selon eux, n’est jamais vraiment légitime. De fait, comparez par exemple en France un JUL et un Lucio Bukowski ou en Corée un Keith Ape et des Balming Tiger, on dira des uns que leur rap est, tout en tentant de rester polie, à oublier, tandis que les autres seront interviewés par Arte. Le rap en est là aujourd’hui, à souffrir de divisions palpables.
Alors, on conçoit ne pas toujours apprécier les paroles parfois limites d’un Jay Park pourtant tête d’affiche ce soir-là, -même dans le rap existent des raps-, mais on peut tout à fait savourer ce qui se fait de mieux dans le hip-hop mainstream. Voilà où en voulait en venir. Au hip-hop mainstream, une association presque oxymorique, tantôt présent dans les charts, tantôt relégué, un type de rap biberonné aux paroles du hip-hop classique et dompté par certains codes de l’industrie musicale coréenne médiatique. Mais une association qui fonctionne cependant, surtout quand des pointures du genre se réunissent sur un show de folie. Ils étaient venus chercher le bain de foule et ils l’ont trouvé. Jessi, Jay Park, pH-1, DOK2, Lee Hi, Loco, Gray et en prime Epik High pour compléter une line-up cosmique sur un festival inédit en Europe, rassemblant des fans des quatre coins du monde, c’est brut et ça dépote ! Retour sur un premier essai encourageant et sacrément plaisant !
La philosophie Epikhienne, quésako ?
A vos bouquins ! Mouvement très connu de notre siècle, fondé dans la lointaine contrée coréenne par les trois maitres de pensée Tablo, Mithra et Tukutz, il préconise le hip-hop comme source de bonheur et l’amusement comme principale vertu. On dit d’eux qu’ils sont des piliers du hip-hop coréen, et même de la K-pop. Un peu loufoques sur les bords, au point de troller merveilleusement bien le public pressé de voir cet “invité ultra-spécial, révolutionnaire de la K-pop”, personne d’autre que Tukutz lui-même, les Epik High interviennent souvent en milieu de festival pour en mettre plein la vue. Remarquez, avec nos larmes plein les yeux, dès qu’ils foulèrent la scène, sur les génériques anthologiques d’Universal Studios, 20th Century Fox et Avengers, on n’y voyait plus rien. D’autant plus qu’entre Rosario, Don’t Hate Me ou High Technology, les chorégraphies millimétrés des trois anges n’arrangèrent rien à notre état. Pour celleux qui les auraient loupé à plusieurs reprises, sachez qu’une performance d’Epik High est interstellaire.
Précédée par celle de Jessi, le combo’ est exemplaire. Avis à toustes celleux qui souhaiteraient organiser un concert de Jessi, sachez que pour 7 heures de show, il faudra au moins lui en consacrer deux, pour notre plus grand bonheur ! Débarquée sur scène dans une tenue époustouflante, Jessi, si Epik High en sont les rois, est elle la star du festival, au point de venir titiller les nerfs des staff impatients, d’autres complètement admirateurs. “J’aime ce genre d’artiste, elle communique avec ses fans”, nous confie l’un d’entre eux, plutôt de la génération de papi René. Il n’y a pas d’âge pour être séduit par Jessi. Peu chapeauté, à l’exception d’un chapeau rose bonbon westernien piqué à une jeune femme du public, le show de Jessi est chaotique. Rappelons qu’en son étymologie pure et dure, le chaos est un état absolu d’évènements qui fécondent le monde. Jessi, elle, crée bien plus de vie en une simple performance scénique. Tout en s’en réjouissant, elle s’amuse à repérer les visages familiers, un YouTubeur par-ci, un fan par-là. Et puis, au milieu de la foule, elle s’émeut de trouver une pancarte à l’effigie de son Chewie repensée pour la chanson Zoom : “Chew-in, Chew-Out”. N’oublions pas sa puissance vocale, épatante sur Nunu Nana, Drip et Cold Blooded. La foule en délire converge s’hydrater vers la sortie après sa performance. Les places en fosse étant précieuses, on devine qu’une bonne partie vint tout spécialement pour l’admirer sur scène. Effectivement, pari réussi, Jessi est admirable !
Jay Park et ses fidèles
Abdo’ ou biceps ? Rap ou R’n’b ? Deux khôlles posées par Jay Park en fin de soirée pour la dernière performance. On a beau s’être creusé la tête, on n’a toujours pas de réponses. Le dit maitre de la soirée aura interprété ses plus grands tubes, dont V, Me Like Yuh, ou Mommae, accompagné d’une troupe de danseur.ses charismatiques en surchauffe. Invités du festival, Loco et Gray, les inséparables d’AOMG et pH-1, le joyau de H1GHER ont eux-mêmes rejoint leur boss et ami sur scène pour enfin réaliser nos fantasmes les plus fous, les voir en live ensemble. Saluons très franchement les performances de Loco et Gray juste avant Jay Park, dont la joie, le flow et la beauté auront envoûté les festivaliers. Loco, tout sourire, s’est aussi épris de la foule en descendant dans l’espace intermédiaire le séparant de la fosse VIP. A l’inverse, inaugurant le festival, pH-1 s’est montré d’une discrétion particulièrement touchante, une sobriété artistique poignante.
Coup d’état ? Ou coup d’essai ?
Deux artistes nous auront moins convaincu ce jour-là. Dans cette effusion artistique, on se hâtait de découvrir l’univers de Lee Hi, distillant ici et là de la soul et du R&B. Les balades de l’artiste, enchantantes, se seront retrouvées prises au piège entre deux performances épileptiques et grondantes, surprenant alors par le calme qu’elles apportèrent au festival. Un calme d’ordinaire appréciable mais détonnant un peu par moment… Loin de se laisser impressionner, Lee Hi est une véritable titan. A quand un concert en solo’ ?
Conflictuel vous dîtes ? Tout juste. DOK2, accompagné de son équipe américaine, a quelque peu attisé les braises d’un foyer qu’il aurait mieux fait de s’abstenir de nourrir. En cause, une remarque sur sa capacité à être meilleur que d’autres rappeurs, arrachant aux fans des grimaces d’inconfort, Jessi la première, répondant avec son franc-parler habituel et défendant corps et âme les autres rappeurs présents.
En bref, ce festival aura su nous dire deux mots : convivialité et personnalité, deux termes caractéristiques de la panoplie d’un bon artiste du hip-hop. La deuxième journée du MIK Festival a été un franc succès, et à l’exception de quelques couacs, le plaisir de la performance nous aura comblé. Y étiez-vous ?
Merci à Magic Sound de nous avoir convié à ce superbe festival !